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The Evolution of Dance – 1950 to 2019 – By Ricardo Walker’s Crew
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Le maître à danser. Qui enseigne la maniere de faire tous les differens pas de danse dans toute la régularité de l’art, & de conduire les bras à chaque pas … | Library of Congress

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Danse : toute l’actualité en direct – page 35

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Danse : toute l'actualité en direct - page 35
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Lyon Dance Biennale

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La danse, le corps, l’inconscient

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La danse, le corps, l’inconscient
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The accompanying videos were produced by the Library of Congress. Note Video Performers for additional credits for video performers.

Credit Line: Library of Congress, Music Division.

Video Performers

Performers for the October 1997 Great Hall event: Dancers

Members of The Jonquil Street Foundation, Inc. Ariane Anthony, Thomas Baird, Barbara Barr, Patricia Beaman, Christopher Caines, Charles Garth, James Martin, Maris Wolff. Musicians – members of The Library of Congress Centennial Cotillion Brass Band, Emerson Head and Robert Sheldon, Leaders (Members, Metro Washington D.C. Federation of Musicians Local 161-710, AFM.)

Performers for the Coolidge Auditorium clips: Dancers

Cheryl Stafford and Thomas Baird. Musicians – Boris Gurevitch (piano), Susan Manus (violin).

Lyon Dance Biennale

There were 37,500 festival goers from 1-16 June.

You loved the Fagor Experience, a new addition in 2021, which was a highlight of this Biennale and hosted 222 dancers, of which 109 amateurs and art-school students aged 15-25, and 7,200 spectators for a free offering open to all!

Huge thanks to you all, to the artists, and special thanks to our public and private partners who made this event possible.

And it’s not over! The Biennale will keep running in greater Lyon and across the region until November 2021!

La danse, le corps, l’inconscient

1Qu’est-ce qu’une chorégraphie ? C’est un ensemble de mouvements corporels qui possède un nexus, c’est-à-dire une logique de mouvement, propre. Si l’on se réfère spécifiquement à la danse, il faut ajouter : « Un ensemble conçu ou imaginé de certains mouvements délibérés… » S’il s’agit d’une chorégraphie improvisée, l’exigence du nexus se maintient, même si l’on abandonne partiellement l’idée de la préconception et le caractère volontaire des mouvements. Comme dans toute définition dans le champ de l’art, celle de la chorégraphie pose immédiatement de multiples problèmes : il semble pourtant que, dans tous les cas qui se présentent (notamment dans la danse contemporaine), il n’y ait pas de chorégraphie sans un nexus.

2Qu’est-ce, alors, qu’un nexus de mouvements dansés ? Il n’est dicté ni par sa finalité ni par son expressivité. Prenons à la lettre ces mots de Merce Cunningham : « Si un danseur danse – ce qui n’est pas la même chose que d’avoir des théories sur la danse ou sur le désir de danser ou sur les essais qu’on fait pour danser ou sur les souvenirs laissés dans le corps par la danse de quelqu’un d’autre –, mais si un danseur danse, tout est déjà là. Le sens est là, si c’est ce que vous voulez. C’est comme cet appartement où je vis – je regarde tout autour de moi, le matin, et je me demande, qu’est-ce que tout cela signifie ? Cela signifie : ça, c’est là où je vis. Quand je danse, cela signifie : ça, c’est ce que je suis en train de faire. Une chose qui est juste cette chose-là » (Cunningham 1952 : 97).

3Il serait donc vain de décrire le mouvement dansé en voulant saisir tout son sens. Comme si son nexus pouvait être traduit entièrement sur le plan du langage et de la pensée exprimée par des mots. Il nous reste donc deux possibilités : ou bien ne pas prétendre tout dire de ce nexus – non parce qu’il renfermerait quelque noyau de sens ineffable, mais parce qu’il se dit autrement que par le langage ; ou bien faire du constat cunninghamien (que le sens de la danse est dans l’acte même de danser) le point de départ d’une approche de la danse au plus près des gestes concrets du danseur. Non pas en cherchant à en extraire le sens, mais en épousant le plus étroitement possible le mouvement du geste corporel.

4Que se passe-t-il dans le corps lorsqu’il se met à danser ? Comment le danseur-chorégraphe construit-il le nexus de ses mouvements dansés ?

5Dans une interview, Cunningham répondait à la question « Quelle est la source (the origins) des formes et des mouvements que vous trouvez pour vos danseurs ? » en expliquant qu’il ne les concevait pas d’avance, mais toujours en expérimentant les mouvements pratiquement. Et de fait, dans un enregistrement filmé des années 70, on le voit dans son studio assis sur une chaise, immobile, semblant se concentrer, puis soudain se lever, faire trois pas, se jeter par terre, les bras et les jambes placés d’une certaine façon, et soudain s’immobiliser ; se relever, revenir à la chaise ; refaire la même séquence de mouvements, cette fois en plaçant les membres différemment. La séquence se répète jusqu’à ce que Cunningham développe une nouvelle séquence à partir de la première dont les mouvements sont fixés. Comme il dit : « Ma chorégraphie fait partie d’un processus de travail (a working process). Ça ne se fait pas toujours nécessairement avec la compagnie. Ça peut être moi, tout seul. Mais c’est un processus de travail. Je commence, dans le studio, en essayant quelque chose. Si ça ne marche pas pour une raison quelconque, ou si ça n’est, pour moi, physiquement pas possible de le faire, j’essaie autre chose […]. Comme vous voyez, je m’intéresse à l’expérimentation avec des mouvements » (Cunningham 1951 : 55).

6Qu’est-ce qu’expérimenter, « essayer » ? C’est arriver à un point de « coordinations physiques » tel que l’« énergie » passe « naturellement » (Cunningham 1952). Il s’agit de flux de mouvements plutôt que de formes ou de figures (comme dans le ballet). En essayant une séquence de mouvements et en vérifiant que l’énergie passe, le danseur se trouve devant de multiples possibilités d’autres mouvements. Il essaie à nouveau, et il choisit, et ainsi de suite, créant un flux d’énergie. Les formes se composent au fur et à mesure, et pèsent sans doute sur le choix des séquences ; mais elles ne sont pas déterminantes, au contraire, elles dépendent du destin que le danseur veut donner à l’énergie, créant des foyers intensifs ou atténuant son élan, accélérant la vitesse, modulant la force du mouvement. Chez Cunningham en tout cas, la création de formes obéit à la logique de l’énergie : loin de constituer des fins en soi (construire de « belles figures »), les formes sont des sortes d’« embrayeurs » du flux de mouvements.

7Il ne faut cependant pas croire que les chorégraphies de Cunningham supposent toutes un continuum de mouvement qui résulterait d’expérimentations successives : « J’ai fait des danses qui utilisent différentes continuités de composition. Par exemple, actuellement je fais rarement une danse où je commence au début et je continue toujours, jusqu’à la fin. Il est plus probable que je fasse une série de choses, des séquences courtes, des passages longs, où je m’implique tout seul, ou peut-être avec un autre ou d’autres danseurs, parfois avec toute la compagnie. Alors, employant le hasard ou d’autres méthodes, je prends une décision sur l’ordre [des séquences]. Je ne peux donc pas avoir une idée particulière qui commencerait ici et qui se prolongerait là, que quelqu’un pourrait appréhender de cette façon-là. Pourtant, après qu’on danse une pièce pendant un temps, même si elle a pu paraître étrange au début, elle finit par porter en elle sa propre continuité. C’est comme si on entrait dans une maison étrange et qu’on devait suivre des trajets non connus. Après un certain temps, les trajets ne sont plus étranges » (Cunningham 1951 : 55-56).

8Cunningham construit ses chorégraphies comme des patchworks, avec des bouts de mouvements venus de sources diverses et hétérogènes. Comment tout cela acquiert-il un nexus ?

9C’est un vieux problème que les ready-made de Duchamp soulevaient déjà – et on connaît l’influence de Duchamp sur Cunningham (Banes & Carroll 1994) : comment un objet insolite, non artistique, devient-il, au bout d’un certain temps d’« habituation », l’équivalent d’un objet d’art ? Ou encore : comment une inscription sur un objet (un peigne, par exemple), avec lequel elle n’a aucun rapport, peut-elle à la longue être perçue comme en faisant partie ?

10Lorsqu’il s’agit du corps, et en particulier de la danse, le fait est encore plus surprenant. Des séries différentes ou divergentes de gestes accomplis par le même corps dans un temps unique finissent par « s’intégrer » ; de même pour des séries de mouvements et de notes musicales (ou même du bruit) ; ou encore pour tout objet étranger aux gestes, introduit par hasard au milieu d’une séquence dansée : après un certain temps, on obtient toujours une continuité de séries hétérogènes. C’est ce qui arrive dans beaucoup de chorégraphies contemporaines (dans le théâtre-danse, par exemple : série de mouvements corporels et série de paroles ; série d’espaces ou d’objets sans rapport avec les séries de gestes) ; ou dans les danses rituelles ou thérapeutiques des sociétés exotiques.

11Faut-il croire que le corps a un tel pouvoir intégrateur, ou assimilateur, qu’il transforme tout ce qui l’approche dans l’espace et dans le temps en un tout homogène et unifié, c’est-à-dire organique ? Autrement dit, le nexus de la danse tiendrait au nexus du corps comme organisme, ou comme structure (fabrica, comme on disait au xvie siècle).

12Que signifie ici « intégrer » ? Non pas que les séries, divergentes au départ, cessent de l’être pour converger vers une même fin ; car les paroles du danseur qui n’ont aucun lien avec les mouvements qu’il exécute conservent leur sens et leur étrangeté propres. Les séries continuent de diverger.

13La convergence ne se produit donc pas ; au contraire, et paradoxalement, la divergence des séries va en s’accentuant ou, plutôt, elles gagnent une autonomie et une intensité accrues. Le moment où surgit ce que Duchamp appelait l’« habituation », et que Cunningham nommait « points structuraux » (points de rencontre d’une série de sons qui diverge d’une série de gestes dansés), c’est l’instant où une série accroche l’autre. « Accrocher » veut dire se combiner, s’agencer. Loin de former une totalité organique plus vaste (la chorégraphie étant la totalité de toutes les totalités), les séries, d’abord entièrement indépendantes et indifférentes l’une à l’autre, entrent en contact et se connectent en certains points singuliers. Ne convergeant pas pour autant, elles se croisent. Et, à partir de ce moment et de ces points de contact, elles diffèrent encore plus. Comme dirait Deleuze, qui a longuement étudié la divergence des séries (Deleuze 1969 et 1996), elles « vont en se différenciant ».

14Les points de contact ou de croisement constituent des foyers d’intensification des séries. Intensification interne des écarts (tensions) entre deux gestes qui se succèdent ; intensification des divergences entre la série des gestes et l’autre (des notes musicales, des paroles, des objets, des gestes non dansés).

15Du contact naît la connexion, l’agencement. Si on a l’impression que désormais les deux séries forment un tout, c’est parce qu’elles entrent dans une même continuité de fond que compose le rythme même de la divergence qui les sépare ; et qui s’est intensifiée, autonomisant davantage chaque série.

16Supposons un solo : le danseur exécute une série de gestes ; soudain il se met à parler d’une histoire qui n’a apparemment rien à voir avec ses mouvements (on pourrait prendre comme exemple la pièce de Steve Paxton, Ash, 1999). Le regard du spectateur vacille, sa compréhension des gestes et des paroles s’effondre. Puis, à partir d’un certain moment, tout se remet en place : ça « fonctionne ». Qu’est-ce qui fonctionne ? Le mouvement des gestes et des paroles qui ne résulte pas de l’agencement des uns et des autres dans une double chaîne qui s’enroulerait sur elle-même, les mots ou les phrases ne se connectant pas un à un avec les mouvements ou les séquences de mouvements. L’agencement s’est opéré à tel point de contact qui a un effet de résonance sur les deux séries, effet qui appartient désormais aux mouvements mêmes des séries. On dit : les mots « sont entrés dans la danse ». Ainsi se forme la continuité de fond qui assure la connexion paradoxale des séries divergentes.

17Car il est vrai que nous continuons de voir et d’entendre les gestes et les paroles dans des séries séparées, en constatant leur divergence de plus en plus nette. Mais cette différence s’accentue toujours davantage parce que le rythme du mouvement dansé se rapporte au rythme du flux de paroles comme ce qui fait ressortir la singularité de l’autre série. D’où une continuité des écarts ou des différences entre les séries. Le rythme assure les écarts dans la continuité, permettant le mouvement de différenciation sans rupture, modulant le temps, la vitesse, la distance interne aux intervalles, sans détruire la ligne de flux de l’énergie.

18Voilà qui fait le nexus d’un ensemble de mouvements hétérogènes. (On pourrait décrire de façon identique la chorégraphie de certains rituels thérapeutiques, comme ceux décrits par Victor Turner chez les Ndembu d’Afrique : séries divergentes qui se croisent au point de contact du sacrifice.)

19Le nexus chorégraphique implique une continuité de fond de la circulation de l’énergie, même si, en surface, des séries se heurtent, ou se séparent, ou se brisent. En fait, une chorégraphie comporte de multiples strates de temps et d’espace. La continuité de fond, en tant que strate d’agencement de toutes les strates, garantit le nexus, la logique propre de la composition de tous les mouvements.

20Parce que, comme dit Cunningham, une danse est « une chose qui est juste cette chose-là », quelque chose du nexus de l’œuvre nous échappe encore ; quelque chose qui échappe au langage parce que la danse n’est pas un langage.

21Francis Sparshott (1995 : 253) donne dix-huit raisons pour refuser à la danse le

22statut d’un langage. Il suffit d’en évoquer une, décisive : il est impossible de découper, dans les mouvements du corps, des unités discrètes comparables aux phonèmes de la langue naturelle. Quelle que soit la façon dont on découpera la masse des mouvements corporels (par plans, par volumes, par traits-signes – comme dans la notation Laban ), on se heurtera toujours à un fait irréductible : le glissement ou le chevauchement des unités découpées les unes sur les autres empêche qu’on trace une frontière nette entre deux mouvements corporels qui « s’articulent ».

23Ce chevauchement, qui tient essentiellement à ce que les articulations du squelette engagent des muscles et des tendons dont le mouvement engage, à son tour, d’autres os que ceux censés se mouvoir, rend impossible cette « première articulation » nécessaire à la formation du langage. Il n’y a pas de « gestèmes » comparables aux phonèmes. D’où l’inexistence d’une « double articulation » d’un langage du corps, à la manière de celle du langage parlé.

24Une autre raison me semble importante : la fonction d’expression des mouvements du corps est beaucoup plus riche que celle du langage articulé qui dépend, en grande partie, de la fonction de communication du sens verbal. C’est que le sens, dans l’expressivité corporelle, ne dérive pas d’abord de l’articulation des systèmes anatomiques du corps propre. Son surgissement à la surface du corps ne dépend pas exclusivement du mouvement mécanique des membres et du torse. Tout un autre ensemble de mouvements d’autres types contribue à l’expression du sens : par exemple, ceux qui font la qualité de « présence » de tel danseur, ou la « fluidité » de son énergie, etc. C’est que le corps du danseur n’est pas que le corps physique de la médecine ou que le corps propre de la phénoménologie.

25Il peut se remplir de sens ou devenir exsangue, absent, vide (comme les corps des psychotiques, du moins partiellement). Mais, même en ce dernier cas, il ne cesse pas totalement d’être expressif. « De toute façon, qu’on le veuille ou non, tout mouvement du corps est de lui-même expressif », affirme Cunningham.

26Il convient de distinguer, ici, entre les mouvements du corps dans ses fonctions habituelles, individuelles et sociales – comme le fait de marcher ou d’accomplir une tâche avec des outils –, et les mouvements dansés. Car, si l’on refuse aisément aux mouvements fonctionnels le terme de « langage », on hésite à ne pas l’appliquer à la danse où, moins que dans d’autres arts, il prendrait une signification métaphorique. Le corps « parlerait vraiment » dans la danse.

27Cela tiendrait au fait que l’expressivité corporelle y serait élevée à un dernier degré, si bien que le corps du danseur se trouverait parfois « saturé » de sens. Bref, si le corps est de toute façon expressif, il le serait beaucoup plus quand il danse.

28Cunningham se référait au mouvement naturel, « spontané », autant qu’au mouvement dansé. Cependant, la différence entre les deux est de nature, plus que de degré dans l’expressivité. Si les danseurs arrivent à saturer leur corps de sens, alors que les mouvements fonctionnels ou utilitaires n’expriment que des significations précises, pauvres ou isolées, cela viendrait de ce que la danse dit un « monde » ; et le geste de nettoyer une vitre, s’il n’est pas dansé, ne dit qu’une fonction.

29Si le sens vient au corps mais pas grâce à une double articulation de ses mouvements, comment le danseur parvient-il, comme dans certains cas, à saturer son corps de sens ?

30Considérons d’abord le corps « trivial » habituel (expression préférable à celle de « corps naturel », entité fictive). Dans ce corps, l’empiètement des mouvements ne conduit pas à leur confusion ; au contraire, l’éducation du corps des enfants comporte des phases de plus en plus complexes de contrôle moteur, visant l’adaptation des mouvements à la vie sociale (la confusion dans le chevauchement aboutirait à l’impuissance motrice dans une sorte d’amalgame de sens exprimés dans une soupe générale expressive – cas, parfois, de l’autisme, de certains corps psychotiques, des enfants-loups).

31Le corps ordinaire exprime un sens, bien que ce ne soit pas au moyen d’un langage. Car, si sa constitution anatomique ne permet pas la formation d’un langage avec une double articulation d’unités discrètes, le corps n’en est pas moins articulé. Ou plutôt, comme il n’arrive pas à être tout à fait articulé, on dira que ses mouvements relèvent d’une quasi-articulation.

32C’est cette quasi-articulation qui assure sa mobilité, son opérativité, son intégration dans l’espace, l’empêchant de tomber dans l’immobilité amorphe ou dans l’inexpressivité du pur objet.

33Comment fonctionne la quasi-articulation du corps ?

34D’abord, ce qui s’articule dans le corps, ce ne sont donc pas des unités de mouvement, mais des zones entières de l’espace. Or, ces zones n’ont pas de frontières précises, empiétant les unes sur les autres ou s’emboîtant les unes dans les autres. La zone gauche du corps empiète sur l’avant et sur l’arrière. L’espace d’un mouvement de la main s’emboîte dans l’espace des mouvements possibles du bras, lequel est recouvert à son tour par l’espace des mouvements de l’avant-bras. Ces zones ne s’articulent pas vraiment puisque, à partir d’un certain point, le mouvement d’articulation d’une zone entraîne avec lui une partie d’une autre zone. C’est une quasi-articulation du corps.

35Ensuite, on voit que les mouvements dépendent des limitations anatomiques constitutives du corps. Il y a des mouvements que l’homme ne peut pas faire, comme tourner la tête de 360 degrés. Ces limitations imposent un cadre « quasi syntactique », déterminant un certain type de gestes et de séquences, tout en empêchant d’autres, mais toujours selon des règles qui comportent une large marge d’indétermination. N’importe quel ensemble de gestes formés, n’importe quel « syntagme » gestuel flotte dans une zone imprécise, sans contours nets, qui accueille de multiples autres séquences possibles. « Faire un pas en avant » obéit à une règle syntactique qui dispose le corps et ses membres apparemment d’une seule façon ; à y regarder de plus près, on découvre d’infinies façons de placer les parties du corps afin de faire un pas en avant – mais toujours à l’intérieur d’un cadre limitatif (dont l’une des contraintes est d’avancer une jambe).

36Il s’agit donc d’une zone de mouvements corporels, à la fois précise et aux contours indéfinis, qui correspond à une signification générale du geste, où ce dernier se forme suivant une règle « quasi syntactique » (et non « syntactique » parce qu’il y a chevauchement de zones, effacement de frontières de mouvements et de sens). On parlera d’une règle « quasi syntactique » de formation du geste. Ceux-ci étant toujours singuliers, mais s’inscrivant dans une marge d’indétermination, une zone de sens général (verbal), chaque « syntagme » gestuel comporte simultanément un sens unique et un sens commun à d’autres gestes : c’est un quasi-syntagme.

37Le sens du geste n’est pas équivoque, au contraire, il est même entièrement univoque et singulier. Sa singularité vient de ce qu’il occupe dans l’espace une position unique, microlocale, de par le fait qu’elle résulte précisément des chevauchements de zones « générales » (ainsi désignées par le langage). L’unicité du geste épouserait alors son sens : le geste deviendrait le sens incarné – c’est ce que va réussir la danse.

38On constate que les mouvements du corps ordinaire s’inscrivent à l’intérieur d’une large bande comprise entre une tendance vers le signe pur (l’« articulation » des gestes), et une tendance vers l’incarnation du sens (dans le geste singulier, irréductible à un code). Dans les deux cas, le chevauchement persiste entre signe et sens, entre « signifiant » et « signifié » : pour codifié que soit tel geste (pointer de l’index, la révérence dans le ballet classique, le mudra dans la danse indienne), il ne se détachera jamais complètement du reste du corps. Il dira donc ce que le code lui a assigné comme sens, mais aussi ce que son attachement au corps implique comme « sens incorporé » (la main reste une main avec toutes ses virtualités de mouvement, au-delà du fait qu’elle fait fonction de signe ; et de même pour le torse, dans la révérence). D’autre part, le geste singulier qui incarne le sens ne cesse jamais d’être une unité quasi séparable, un quasi-signe, dans la mesure où il appartient à un corps quasi articulé.

39Bref, c’est à partir de ces deux tendances ou possibilités de la quasi-articulation du corps ordinaire que l’on pourra le tirer soit du côté de la fonctionnalité, soit du côté de l’incarnation du sens (dans le mouvement immanent de la danse).

40Enfin, si l’on considère le geste dansé, cette quasi-articulation des zones du corps et l’empiètement de mouvements qu’elle implique conduisent à une sorte de surfragmentation des gestes. Cela fait qu’un mouvement quelconque du bras, par exemple, se décompose dans une infinité de mouvements microscopiques : seul l’arrêt sur image donne un plan statique d’un geste un et indivisible. A une échelle minime, chaque partie du bras, de la peau, de la chair constitue une unité instable, en mouvement, qui se compose d’autres unités encore plus petites. Comment le mouvement de la danse réussit-il cette surfragmentation à partir de la quasi-articulation du geste ordinaire ?

41Dans la vie commune, soumise à de multiples systèmes de codification des gestes, la tendance à rabattre la quasi-articulation sur le signe verbal prévaut sur la deuxième tendance, qui va dans le sens opposé. Les gestes deviennent tout à fait transparents, traduisibles dans des significations générales. Le corps exprime alors le langage articulé, ses mouvements finalisés parlent la langue claire des fonctions sociales. Le « langage » du corps ne diffère guère de ce qu’en dit le discours des impératifs de tout genre qui moulent ses mouvements.

42La tendance à la singularité des gestes est absorbée par cette discipline du corps. Le non-verbal, qui correspond ici au microscopique et à la singularité, est réduit, appauvri, voire effacé au bénéfice des gestes fonctionnels macroscopiques et généraux. Par exemple, l’expressivité corporelle d’un professeur est happée par les gestes larges qui accompagnent ses messages verbaux – parce que toute sa fonction d’enseignant est codée au moyen du langage.

43Mieux : sous l’effacement de la tendance à la singularité de la quasi-articulation du corps perce parfois ce qui le sous-tend, le fantasme du corps informe, du monstre, du corps fou, sauvage et violent ; le fantasme du viscéral, du corps sale ou du corps mortifère épidémique. Ces fantasmes constituent l’arrière-fond innommable qu’il faut contrôler ou éliminer si l’on tient à avoir des corps fonctionnels.

44Comment la danse transforme-t-elle le corps ordinaire ? Tire-t-elle sa quasi-articulation du côté du signe et du langage verbal, ou du côté du corps singulier, incodable, non sémiotisable ?

45En fait, la danse échappe à cette pseudo-antinomie. Car, d’abord, elle met en mouvement. Cependant, cette mise en mouvement du corps ne part pas de zéro, d’une immobilité ou d’un repos absolus. La danse met le corps en mouvement parce que le corps est déjà en mouvement (mouvement des organes, mouvement tensionnel qui le tient en vie, mouvement du cerveau et des pensées, mouvement dans l’équilibre de la position debout, qui fait la small dance de Steve Paxton). D’une façon générale, il n’y a pas une seule posi-tion du corps qui soit statique. Le corps bouge toujours imperceptiblement parce qu’il est toujours en équilibre tensionnel.

46Cela signifie, par exemple, que « debout » ne désigne pas une position arrêtée dans l’espace, mais implique une infinité de positions millimétriques, invisibles à l’œil nu, qui tournent autour d’une sorte d’axe ou de position jamais réalisée.

47C’est le chevauchement des mouvements et la quasi-articulation du corps qui expliquent cette multiplication du geste. Car l’équilibre producteur de mouvement (équilibre métastable) s’appuie sur le chevauchement, créateur de tension et d’instabilités microscopiques.

48Or, l’automultiplication du geste – le fait qu’un geste s’avère, à échelle microscopique, être constitué d’une multiplicité de gestes – implique sa surfragmentation, comme il est évident. Le mouvement incessant d’un geste autour d’un axe virtuel non seulement crée une infinité d’autres gestes, mais un continuum de microgestes tel qu’une partie minime d’un geste se compose avec une autre d’un autre geste – par chevauchement ou glissement des mouvements les uns sur les autres –, si bien que tous les microgestes qui forment le geste divisent ce dernier en mille micro-unités…

49Bref, non seulement le chevauchement suppose que chaque geste (macroscopique) entraîne avec lui des fragments d’autres gestes qui contiennent d’autres fragments d’autres gestes encore, mais le type d’équilibre propre du geste dansé fragmente le mouvement dans de multiples séquences microscopiques. Par exemple, j’ouvre la bouche en dansant : dans cette séquence de mouvements se trouvent concentrés de multiples fragments d’autres séquences non encore déterminées (ouvrir la bouche pour crier, manger, parler, chanter, etc.) ; mais cette séquence elle-même se tient en mouvement incessant, de par son équilibre tensionnel ou métastable, se fragmentant et se divisant, amplifiant sa quasi-articulation.

50Autrement dit, la surfragmentation équivaut à une surarticulation. La quasi-articulation, qui, dans la vie ordinaire du corps, est tirée du côté du signe et de l’articulation du langage verbal – en fait mutilant, tronquant le mouvement même de quasi-articulation qui fait toute la plasticité du corps –, gagne dans le mouvement dansé une ampleur qui la surarticule, au-delà de ce que le système des « articulations » du squelette et des muscles détermine comme leurs simples possibilités, sur le plan des macromouvements.

51Or, dans ce mouvement de surfragmentation gestuelle (ostensif, dans la technique Cunningham, ou dans les mouvements du butô), la tendance va vers l’abolition du geste comme signe : il tend à incarner le sens. C’est le mouvement du sens que l’on voit maintenant dans le corps du danseur. Son geste est unique et saturé de sens. Il ne résulte pas de l’application d’une règle syntactique quasi-articulant des zones gestuelles qui indiquent des zones de sens, mais de l’émergence même du sens. Le mouvement de ces micro-unités dit immédiatement le sens, comme s’il obéissait à une grammaire sémantique propre, non verbale.

52Le mouvement dansé conduit la quasi-articulation des zones larges de mouvement (et de sens) à la construction de séquences surarticulées immédiatement sensées. Le corps dansé devient un système où la quasi-articulation syntactique se résout en une grammaire sémantique. Cette grammaire a comme lexique des micro-unités gestuelles indéfinies, et comme syntaxe des trajets d’énergie (Deleuze dirait : des cartes d’intensités qui parcourent le corps du danseur).

53On comprend que Cunningham considère tout mouvement du corps de lui-même expressif. On comprend qu’il ait voulu démultiplier les mouvements jusqu’aux limites des possibilités physiques du corps : la surfragmentation des gestes ouvre des canaux au passage de l’énergie et facilite son écoulement. On comprend donc qu’il ait pu écrire ceci : « La danse n’est pas émotion, passion pour une femme, colère contre un homme. Je crois qu’elle est plus originaire (primal) que cela. Dans son essence, dans la nudité de son énergie, c’est une source d’où la passion ou la colère peut naître sous telle forme particulière, la source d’énergie d’où peut être canalisée l’énergie qui passe dans les divers comportements émotionnels. C’est l’exposition éclatante de cette énergie, c’est-à-dire d’énergie élevée à une intensité suffisante pour faire fondre l’acier chez quelques danseurs, qui procure la grande excitation. Ce n’est pas le sentiment de quelque chose, c’est un coup de fouet sur l’esprit et le corps qui les engage dans une action si intense que, pendant le court moment concerné, l’esprit et le corps ne font qu’un » (Cunningham 1952 : 56).

54Ce point de « fusion » marque le mouvement de l’immanence. La danse construit le plan de mouvement où « l’esprit et le corps ne font qu’un » parce que le mouvement du sens épouse le sens même du mouvement : danser c’est non pas « signifier », « symboliser » ou « indiquer » des significations ou des choses, mais tracer le mouvement grâce auquel tous ces sens prennent naissance. Dans le mouvement dansé, le sens devient action.

55Mais comme le sens peut être dit de différentes façons, par la parole ou par l’image, par la narrative ou par le geste pur, la danse a recours à ces multiples moyens, les intégrant et les transformant en mouvement. C’est un autre aspect de l’immanence.

56On comprend maintenant que Cunningham affirme que le sens de la danse est dans l’action même de danser et pas ailleurs, pas dans les théories et les idées ou les sentiments. C’est que l’immanence réalise le sens dans le mouvement des corps. Voilà qui donne le nexus à la chorégraphie : non pas la cohérence des mouvements selon un code, mais la construction d’un plan qui permette aux mouvements dansés d’atteindre ce point de fusion dont parle Cunningham. Alors, rien du sens n’échappe plus au langage, parce que le langage, le mouvement de son sens entrent dans le mouvement du sens de la danse. On ne pourra donc plus affirmer que ce qui fait le nexus de l’œuvre est ineffable, parce qu’il est là, réalisé dans l’immanence du sens à la danse des corps.

57De même, puisqu’on est parti des séries divergentes de Cunningham, on dira que c’est aux points de contact des séries (« points structuraux », selon l’expression de Cunningham), par exemple d’une série musicale avec une série de mouvements dansés, que commence le tracé du plan d’immanence. A ces points d’intensification de l’énergie commence l’osmose de mouvement telle que les espaces musicaux deviennent des espaces corporels, des quarts de ton, des quarts de geste. Les notes deviennent des gestes et les gestes, des notes. Comment ? Dans le plan d’immanence où les mouvements du corps atteignent à l’intensité, où geste et note ne font qu’un. La « fusion » ou osmose, grâce à l’extrême intensification de l’énergie, fait fondre une « forme » dans l’autre. Bref, le nexus des séries divergentes est créé par l’immanence du corps à la musique. Les notes sont des actions du corps, des vibrations des mouvements corporels.

58Comment le danseur construit-il son plan d’immanence ? Disons qu’il transforme la quasi-articulation en surarticulation du corps. La danse traduit la masse du sens incorporé (embodied) et inarticulé (embedded) dans des trajets intensifs, tout en dissolvant dans le mouvement ce qui apparaît comme pure illustration kinésique du verbal. Elle change les paroles et les gestes articulés par le langage en sens agi par le mouvement. Alors, le quasi-articulé du geste ordinaire devient sens se produisant et s’exprimant dans le mouvement.

59Il est aisé de comprendre comment la surarticulation a prise sur la quasi-articulation afin de la traduire en micro-articulations agies par le passage de l’énergie. Comment, par exemple, on peut traduire un geste commun tel que celui de « tourner à gauche » dans une séquence continue de microgestes formant un mouvement qui ne montre plus le virage à gauche d’un corps, mais n’en restitue que mieux, dans l’intensité propre de son énergie, la vérité du « tourner à gauche » macroscopique d’où l’on était parti.

60C’est une question de traduction (ou plutôt de transduction) de mots, de formes, d’images et de pensées en mouvement. C’est ce que réussit la danse. L’immanence qu’elle crée se fonde sur ce même empiètement des mouvements les uns sur les autres qui fait qu’il n’y a jamais de signe corporel complètement séparé du corps, jamais de sens verbal (paroles) qui ne s’origine dans des vibrations de la voix, que le lexique des mouvements corporels (quel qu’en soit le code) ne se détache pas de la grammaire (la quasi-articulation intensive). S’il est facile de faire entrer dans le même plan de mouvement immanent le signe et le sens, c’est que la danse, en transformant la quasi-articulation en surarticulation du corps, crée les conditions pour que s’opèrent toutes sortes de transductions de toutes sortes d’éléments en mouvement, grâce à la modulation des intensités qui traversent le plan.

61Qu’est-ce que le plan d’immanence de la danse ? C’est un plan de mouvement. Mais pas de n’importe quel mouvement. La marche compose aussi un plan de mouvement où certains mouvements d’organes coexistent et se combinent de manière spécifique, selon une logique propre. On peut même y faire participer d’autres mouvements non habituels (marcher en tournant la tête à gauche et à droite, par exemple). Tout cela, cependant, ne forme pas un plan d’immanence.

62Pour construire un tel plan en dansant, au moins deux conditions sont requises : que la pensée et le corps ne fassent qu’un dans le mouvement (la « fusion » dont parle Cunningham) ; que le mouvement du corps soit infini, ce qui implique qu’il puisse s’agencer avec d’autres corps dansants.

63Nous n’examinerons ici qu’un aspect de cette dernière condition.

64Pour qu’il y ait « fusion » ou « saturation » du corps par le sens, il faut qu’une osmose complète se produise entre la conscience et le corps. Cette osmose n’existe dans la conscience vigile ordinaire que par à-coups, à l’occasion d’une douleur ou d’un effort musculaire intenses. Normalement nous n’avons qu’une conscience extérieure de notre corps (vu comme corps-objet). Pourtant, même cette extériorité n’est pas totale : dans le régime ordinaire de la conscience (du monde), nous formons toujours une sorte de conscience implicite de notre corps comme d’un objet particulier (comme dit Leibniz, il nous appartient, nous l’« avons » ; ou bien, c’est un corps de chair, sensible, comme dit Husserl).

65Steve Paxton, le chorégraphe et danseur américain, écrit : « La conscience peut voyager à l’intérieur du corps. C’est un fait analogue à celui de diriger le regard, dans le monde extérieur. Il y a aussi une conscience analogue à la vision périphérique, qui est la conscience du corps tout entier, en maintenant les yeux ouverts » (Paxton 1993 : 62).

66Apparemment, Steve Paxton rabat le rapport conscience-intérieur du corps sur le rapport conscience-monde exérieur, comparant la conscience du corps à la vision. Sa pensée, sur ce point, semble hésiter car, ailleurs, il affirme que le danseur doit avoir une « conscience inconsciente » afin de laisser le plus libres et spontanés possible les mouvements corporels, ce qu’une conscience uniquement « consciente » et séparée ne saurait faire.

67Si la conscience peut voyager à l’intérieur du corps, c’est dans le but de construire une carte de cet espace interne. Non pas comme un miroir qui reflète un paysage, mais comme une topographie des trajets et des lieux de l’énergie. Seule cette carte permet au danseur d’orienter ses mouvements sans avoir à les surveiller de l’extérieur (comme dans l’apprentissage du ballet devant la glace), comme s’ils s’orientaient d’eux-mêmes.

68Ainsi le danseur a besoin d’avoir plus qu’une conscience extérieure de son corps ; il en a une conscience « de l’intérieur ». Qu’est-ce que cette modalité de conscience ?

69Dans l’article cité, Paxton décrit la façon dont il a découvert et élaboré la technique du « Contact-Improvisation » (CI). L’un des premiers exercices qu’il proposait à ses étudiants (lorsqu’il cherchait encore sa méthode) consistait à leur dire, pendant qu’ils se tenaient debout, immobiles : « Imaginez, mais ne le faites pas, imaginez que vous êtes sur le point d’avancer d’un pas avec votre pied gauche. Quelle est la différence, par rapport à la situation antérieure ? Imaginez… (répétez). Imaginez que vous êtes sur le point d’avancer d’un pas avec votre pied droit. Avec votre pied gauche. Droit. Gauche. Arrêtez. »

70Paxton commente ainsi l’expérience : « Arrivés à ce point, de petits sourires apparaissent parfois sur les visages des gens, ce qui me fait croire qu’ils avaient senti l’effet. Ils étaient partis faire une promenade imaginaire, et avaient senti leur poids répondre subtilement (mais réellement) à l’image ; ainsi, lorsque je disais “Arrêtez”, les sourires révélaient qu’ils avaient compris ma petite plaisanterie. Ils s’apercevaient que je connaissais l’effet. Nous étions arrivés ensemble à un endroit invisible (mais réel) » (ibid.).

71Les mots « image », « imagination », « imaginaire » gênent Steve Paxton, qui a tendance à les refuser, allant jusqu’à affirmer que « les images étaient censées être, eh bien, “réelles”. C’est-à-dire, elles n’étaient pas censées être clairement irréelles (obviously unreal) » (ibid.).

72D’où vient l’embarras du chorégraphe ? De ce que les mouvements des jambes collent aux images (et ne sont pas seulement suscités par elles). Ou plutôt : les images des mouvements des jambes ne sont pas que des représentations mentales, mais engagent le corps réel ; ses mouvements réels, bien que microscopiques, s’accompagnent de sensations de poids, de tensions, etc.

73Ce n’est donc pas un corps imaginaire qui bouge ainsi, mais un corps « réel » (bien que non « actuel »). L’effet des images sur le corps relève de ces mouvements qui composent ce que Steve Paxton appela la « petite danse » (the small dance) : « La petite danse est le mouvement accompli dans l’acte même de se tenir debout : ce n’est pas un mouvement consciemment dirigé, mais peut être consciemment observé . » C’est le mouvement microscopique que nous découvrons à l’intérieur de notre corps et qui le maintient debout. Steve Paxton considère que la small dance est la source première de tout mouvement humain, puisque c’est elle qui nous soutient dans la station debout. Avoir conscience de l’intérieur du corps commence par l’« observation » de la small dance en nous.

74Or, avoir conscience des mouvements internes produit deux effets : la conscience amplifie l’échelle du mouvement, le danseur ressentant sa direction, sa vitesse et son énergie comme s’il s’agissait de mouvements macroscopiques ; et la conscience elle-même change, cessant de se tenir à l’extérieur de son objet pour le pénétrer, l’épouser, s’en imprégner : la conscience devient conscience du corps, ses mouvements, en tant que mouvements de conscience, acquièrent les caractéristiques des mouvements corporels. Bref, le corps remplit la conscience de sa plasticité et de sa continuité propres. Ainsi se forme une espèce de « corps de la conscience » : l’immanence de la conscience au corps émerge à la surface de la conscience et en constitue désormais l’élément essentiel.

75La conscience du corps, comme mode de conscience différent de la conscience réflexive, est à l’œuvre partout où le corps entre en action : dans la danse, le sport, la relaxation, les arts martiaux, le processus de création artistique, le simple fait de se toucher ou de se voir. En vérité, la conscience du corps est présente dans toute forme de conscience : voilà pourquoi Steve Paxton tantôt compare cette forme de conscience à la vision, tantôt en fait un « sous-système » d’organes du corps, au même titre que d’autres (par exemple, « des parties du corps qui respirent » pendant que la conscience les observe, Paxton 1993 : 62) ; ou encore, on le verra plus loin, il les considère comme l’équivalent de mouvements non conscients du corps.

76La vision, par exemple, tenue pour le plus intellectuel des sens, posant son objet à distance, comporte toujours un élément haptique, comme on le sait aujourd’hui ; et, dans cette propriété d’un toucher spécifique de la vision, c’est tout le corps avec sa masse, sa texture, sa peau qui entre en contact avec l’objet à travers la vue – évaluant ainsi la texture, la masse, la surface de l’objet vu. Ici aussi, seule l’imprégnation de la conscience par le corps permet la vision « à distance ».

77Or, c’est la conscience du corps dans la danse qui conditionne le destin même du mouvement, le transformant en mouvement dansé. Car c’est la conscience du corps qui tisse le plan de mouvement propre à la danse, le plan d’immanence de la danse.

78Prenons un exercice « de base » du CI : le « Tête-à-tête » (Head-to-Head), qui suit en général, dans l’apprentissage de la technique du contact, le « Se tenir debout » (Standing).

79Auparavant, rappelons que le CI est une forme de danse (qu’on a déjà appelée sport-danse ou danse minimale) qui se fonde sur le contact entre deux corps : une communication s’établit entre eux, telle qu’une sorte de dialogue commence où le mouvement de chacun des partenaires s’improvise à partir des « questions » posées par le contact de l’autre ; « réponse » improvisée, mais qui découle du type de perception que chacun a du poids, du mouvement et de l’énergie de l’autre ; « réponse » donnée dans un mouvement encore et toujours de contact qui engendre une nouvelle « question » pour le partenaire, et ainsi de suite. Les corps glissent les uns sur les autres, s’enroulent, se jettent les uns sur les autres, roulent par terre, se tiennent dos à dos, etc. Tout le mouvement a son origine dans le poids et l’équilibre des corps ou, plutôt, dans le déséquilibre imminent des positions : le mouvement d’un danseur crée cette demande à laquelle le corps de l’autre donnera une réponse selon la pente du poids et de l’énergie qui lui conviendra le mieux. L’énergie doit couler, le mouvement fluer le plus aisément possible, le danseur choisira souvent la pente qui lui semblera satisfaire ces requisits.

80Il est clair que le contact de deux corps en mouvement, à la fois agissant selon les stimuli de l’autre et improvisant, crée un type de corps et de mouvements qui fait toute la singularité du CI.

81Le Tête-à-tête met en contact deux têtes. La surface de contact est identique pour les deux partenaires (comme dans tout mouvement de CI). « A travers le point du toucher dans le Tête-à-tête, chaque danseur peut sentir la small dance de l’autre personne. C’est l’observation directe et l’expérience du mouvement inconscient de l’esprit (unconscious movement-mind) de l’autre. Chaque danseur est conscient que sa small dance est en train d’être sentie par l’autre. C’est une connexion complexe, qui semble impliquer de multiples niveaux (sensoriel, mental et réflexe), et qui naît du toucher de deux têtes. C’est l’introduction et le modèle du toucher partout ailleurs dans le corps » (Paxton 1996 : 50).

82Deux aspects nous importent particulièrement : d’abord, le Tête-à-tête (et donc tout contact dans le CI) suscite une expérience inconsciente des mouvements (small dance et autres) du partenaire ; ensuite, on peut considérer ce type d’expérience comme le modèle de la « communication » des corps dans le CI.

83Car il s’agit bien d’une communication un peu spéciale, plutôt d’une osmose (Paxton l’appelle « mutuelle » ou « réciproque »). Or, cette osmose intensifie l’expérience du toucher de chaque danseur : « L’expérience est entièrement personnelle en ce qui concerne le toucher. Elle comporte les impressions sensorielles, et les sentiments sur ces impressions. Ça peut comprendre l’histoire personnelle de chacun, des sentiments sur cette histoire, des fantaisies, etc. C’est l’expérience, et puis l’expérience de cette expérience. E-au-carré. […] Cependant, si deux esprits sont centrés sur le même phénomène (toucher, musique, paroles), quelque chose arrive qui ressemble beaucoup à une expérience réciproque (mutuality of experience). C’est comme avoir accès à un autre esprit. Non pas lire la pensée d’autrui, comme nous l’imaginons, car nous ne savons pas ce que cet esprit ressent ; [nous savons] seulement que c’est du sentir, centré sur le toucher commun, qui a lieu. Autrement dit, si l’on admet que notre expérience sensorielle dérive de notre point de vue, dans la réciprocité (mutuality) nous avons une expérience d’un autre ordre (E-au-carré plus E-au-carré). Dans ce type de réciprocité, la vitesse de transmission et de retransmission est suffisamment rapide pour s’inscrire dans notre intention et stimuler nos réflexes. Cela affecte le cours de la danse sans une décision consciente de notre part » (ibid.).

84Steve Paxton cherche à décrire le mécanisme le plus simple d’intensification de l’énergie lorsque, comme disait Spinoza, deux corps se rencontrent et s’affectent l’un l’autre (ici, par contact ; et seul l’accroissement, et non la diminution de l’énergie, intéresse Paxton). Qu’est-ce qui se passe lorsque deux corps entrent en contact ? Ils gagnent tous deux en intensité. Pourquoi ? Parce que, grâce à une communication inconsciente d’expériences, chaque corps accueille l’expérience de l’autre.

85Le langage très empirique, voire positiviste, de Steve Paxton ne l’empêche pas de repérer des phénomènes qui exigent d’autres concepts pour être explicités.

86La « réciprocité » implique bien un accroissement de l’énergie : c’est « un événement puissant – ces réciprocités ressenties créent des possibilités sur lesquelles se fondent des efforts communs qui vont des sports à la culture en général. (Et, dans le registre de la peur, le comportement de la foule) » (ibid.).

87Comment se transmettent ces énergies ? Immédiatement, par contact, et inconsciemment. Mais, comme on l’a vu, l’inconscience du contenu transmis se double de la conscience du processus de transmission. Mieux : paradoxalement, c’est la conscience même du contact des têtes (ou des corps) qui permet ou provoque la « communication » entre inconscients. Steve Paxton l’affirme clairement : « Savoir qu’on touche et qu’on est touché accompagne la conscience (awareness) que le même processus est en train de se dérouler à l’intérieur de la personne avec qui on danse » (ibid.).

88Autrement dit, la conscience du corps dans le contact intègre la conscience que l’autre vit la même expérience de contact : la conscience du contact qu’a un danseur contient non l’expérience de l’autre, mais la conscience qu’il en a (et qui est la conscience que le premier danseur a la même expérience que la sienne). Bref, je sais qu’il sait que je sais qu’il sait.

89Ces empiètements de consciences des deux partenaires danseurs, loin de les enfermer dans un stérile rapport en miroir, ouvrent leurs consciences au passage des inconscients. Car il ne s’agit pas de « consciences pures » mais de « consciences du corps ». Le contact de deux corps suscite une sorte de double effet sur la conscience du danseur : d’une part elle subit une imprégnation de son propre corps du fait de se trouver centrée sur le point de contact ; et d’autre part, elle échappe à elle-même, se décentre de soi, se trouvant inexorablement attirée vers l’autre conscience du corps qui a tendance à l’imprégner elle aussi, à se mélanger avec elle. Et réciproquement : cela produit une osmose intensive, comme un effet d’accumulation et d’avalanche dans l’imprégnation mutuelle.

90S’échapper à soi-même, c’est s’ouvrir à un mouvement imparable qui va laisser passer des contenus inconscients. D’où tous ces étourdissements, vertiges, pertes du sens de l’orientation, voire des épisodes psychotiques qui arrivent pendant les exercices de CI : la tendance à s’échapper à soi peut être vécue comme absorption de son corps par la conscience de l’autre, etc. (Cela ne vient pas seulement de ce que le corps se trouve sans cesse dans des positions de quasi-équilibre tout à fait inhabituelles – tête en bas, par exemple ; mais si ces positions peuvent avoir des effets si intenses c’est parce que les consciences s’ouvrent à la communication des inconscients.)

91Une osmose des consciences du corps se forme à partir du « je sais qu’il sait que je sais… ». Si bien que le danseur, dans le Tête-à-tête, ne sait plus où est (ou a) sa tête – et c’est cela l’ouverture à l’inconscient ; c’est cela l’intensification de sa conscience du corps (ce que Steve Paxton appelle « E-au-carré plus E-au-carré »).

92S’il y a ouverture à l’inconscient qui se transmet sans que la conscience connaisse les contenus transmis, c’est qu’un dynamisme particulier de la conscience du corps (de chaque danseur) commence alors, dont il faut souligner un aspect : la conscience s’ouvre, se décentre, perd ses repères, se remplit de « trous ». L’idée des trous qui peuplent la conscience du corps (et la conscience tout court) revêt suffisamment d’importance pour que Steve Paxton crée l’image d’une conscience-gruyère, trouée à la façon du fameux fromage suisse, et tente de la proposer comme modèle de fonctionnement de la conscience (working model for consciousness) (Paxton 1993 : 65).

93Les trous ou intervalles (gaps) existent déjà, en fait, dans toute conscience du corps. On peut (on doit, selon Paxton) les remplir, s’efforçant d’acquérir une pleine conscience de ce qui se passe entre deux moments de la conscience qui ne se relient pas, c’est-à-dire où un trou s’ouvre. Mais qu’arrive-t-il dans ces moments où la conscience manque ? « Mon hypothèse, c’est que les trous sont des moments où la conscience s’en va. Je ne sais pas où elle va. Mais je crois savoir pourquoi. Quelque chose se produit qui est trop rapide pour la pensée » (ibid. : 50). Ou bien, dans le texte déjà cité, « la vitesse de transmission et de retransmission [des contenus inconscients dans le contact] est suffisamment rapide pour s’inscrire directement dans notre intention et stimuler nos réflexes. Cela affecte le cours de la danse sans qu’une décision consciente soit prise par nous ». Remarquons en passant que S. Paxton admet qu’un contenu inconscient se loge au sein même de l’intention (qui, pour la phénoménologie, constitue l’essence même de la conscience…).

94Bref, le contact des corps produit des mouvements – que Paxton a tendance à caractériser comme mouvements réflexes – qui vont trop vite pour la pensée. Et cela creuse un trou dans la conscience. La conscience du corps se crible de trous, comme un gruyère. Mais en même temps – et c’est l’autre aspect du dynamisme de la conscience dans le CI –, les trous tendent à se remplir, le danseur cherchant à avoir une conscience pleine et continue (full consciousness) des mouvements corporels. Cette conscience pleine entraîne l’élargissement de la carte des mouvements ; il ne faut pas que les mouvements restent inconscients dans ce trou de conscience, car ils risquent de rester « incrustés (embedded) dans le mouvement comme une partie du sentiment global du mouvement » (Paxton 1993 : 63).

95Comment caractériser ces mouvements qui, par leur extrême vitesse, échappent à la conscience ? Ce sont des mouvements virtuels. La description de Paxton épouse curieusement la définition que Deleuze donne du mouvement virtuel : « Ils sont dits virtuels en tant que leur émission et absorption, leur création et destruction se font en un temps plus petit que le minimum de temps continu pensable, et que cette brièveté les maintient dès lors sous un principe d’incertitude ou d’indétermination » (Deleuze & Parnet 1996 : 179).

96Que les mouvements de la communication dansée soient virtuels ne les empêche pas de s’actualiser en devenant conscients. Mais il est exclu que tous les mouvements virtuels deviennent actuels.

97Résumons : c’est grâce aux trous ou vacuoles de conscience qu’une communication s’établit entre inconscients. Ces vacuoles, déjà présentes dans la conscience ordinaire, acquièrent une prégnance perceptive à la conscience du corps, dans le CI : car, comme on a vu, le contact ouvre la conscience à un empiètement ou imprégnation qui laisse passer d’un corps à l’autre des contenus inconscients de mouvement (je sens la small dance de l’autre parce que je m’imprègne de la conscience du corps de l’autre qui sait que je sais qu’il sait – ce qui imprègne encore ma conscience du corps de la conscience du corps de l’autre).

98Ainsi se forme, dans le CI, un plan unique de mouvement virtuel de deux corps qui « communiquent » inconsciemment de telle façon qu’on peut parler d’« un seul corps qui bouge ». Cependant, ce corps unique – c’est-à-dire les corps qui roulent, agissent et réagissent les uns aux autres toujours en contact, improvisant leurs mouvements – constitue bien plutôt un plan de mouvement unique ou collectif virtuel sur lequel de multiples corps dansent actuellement, c’est-à-dire accomplissant des mouvements actuels. Le plan virtuel, c’est le plan de l’osmose des mouvements inconscients (virtuels) ; les mouvements des corps sont actuels mais se déploient exclusivement maintenant sur le plan du mouvement virtuel – celui-ci seul garantit la cohérence et la consistance de leurs gestes, le nexus de leurs évolutions et déplacements.

99Ne pas oublier que le mouvement des corps n’est pas que physique : « Lorsque nous avons affaire à des aires sensibles [dans le contact des corps] quelles qu’elles soient, nous devons danser de manière sensible […]. Ce n’est pas seulement à du mouvement que nous répondons. Le mouvement est une surface physique couvrant des temps entiers de vie et des expériences totalement inconnaissables » (Paxton 1996 : 51). C’est tout cela qui compose les contenus inconscients qui se transmettent dans l’osmose des corps.

100On voit comment le CI construit le plan du mouvement immanent : la « fusion » ici est double, entre la conscience et le corps, et entre deux corps (à travers leur osmose inconsciente et l’osmose des consciences du corps). « Fusion » qui n’implique pas perte de la singularité, puisque chaque corps ne reçoit et n’émet de l’énergie que selon ce qui lui convient le mieux de l’autre corps (qui facilite et intensifie le flux de sa propre énergie). Il y a des corps qui se conviennent mieux que d’autres, dans le CI.

101L’improvisation – aspect que nous n’avons pas examiné – marque l’affirmation de la singularité dans cette technique de la danse.

102En fait, le plan de mouvement construit l’immanence en transformant tout sens conscient (expressif, représentatif, etc.) en mouvement qui émerge à la surface des corps ; et il change le sens inconscient en mouvement virtuel de communication et d’osmose entre inconscients – il faudrait parler ici d’« inconscients du corps ».

103Voilà qui rend infini le mouvement du plan (et également les mouvements actuels dans la mesure où ils se prolongent dans les mouvements virtuels) : aucun mouvement ne finit à un endroit précis de l’espace objectif, celui-ci – que ce soit une scène de théâtre classique ou autre – n’arrête jamais les mouvements des danseurs, comme jamais les limites de leur corps propre n’empêchent leurs gestes de se prolonger au-delà de leur peau.

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