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Le doute
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La Médécine traditionnelle chinoise et la Philosophie du Praticien

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La Médécine traditionnelle chinoise et la Philosophie du Praticien
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Les origines de l’Institut supérieur de Philosophie de Louvain – Persée

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Construire un monde ? – La volière d’Abû Hayyân – Institut de recherche sur le Maghreb contemporain

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Construire un monde 

II Pluralisme et universalisme les alternatives sociétales

Remarques sur l’humanisme d’Abû Hayyân al-Tawhîdî

Texte intégral

Bibliographie

1 Ouvrages en langues arabe

2 Ouvrage en langues européennes

Annexes

Notes

Auteur

Mondialisation pluralisme et universalisme

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Remarques sur l’humanisme d’Abû Hayyân al-Tawhîdî

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Description des Cours — Institut de Philosophie Saint François de Sales (IPSFS)

PH1075: Philosophie théoretique 2 (Théodicée) (5 crédits)

Philosophie théorétique II [Théodicée] (crédit 5) obligatoire

Arguments

Questions préliminaires au sujet de la possibilité, légitimité et la valeur de la « théologie philosophique ». Le statut épistémologique de la « théologie philosophique » et son rapport avec d’autres disciplines philosophiques, la théologie et les sciences. Le problème philosophique de l’existence de Dieu : les raisons pour l’affirmer et pour la nier. Quelques parcours de raisonnement : les voies de l’intériorité ; les voies du devenir et de l’efficience ; la voie de la beauté ; les voies de la contingence et de l’ordre. L’inneffabilité de l’être divin et le concept de mystère : la connaissance analogique de Dieu ; Dieu comme plénitude subsistante d’être et comme simplicité, unité, intelligibilité et bonté absolue.

Module d’approfondissement

Arguments

Le thème de Dieu comme réalité infinie d’amour créant et provident : l’infinité, intelligence, volonté et toute-puissance divine. La réalité transcendante et personnelle de Dieu.

Lecture guidée d’essais philosophiques

Thomas d’Aquin, Summa Theologiae, I Pars , q. 2-22 ;

Leibniz G. W., Essai de Théodicée ;

Thérèse Bénédicte de la Croix (E. Stein), L’être fini et l’être éternel ;

Lévinas E., Dieu, la mort et le temps ;

Gadamer H. G., Vérité et méthode (Paris, Seuil, 1996 ).

Recherches de séminaire

Les origines de l’Institut supérieur de Philosophie de Louvain

Les origines

de l’Institut Supérieur de Philosophie de Louvain

L’Institut supérieur de Philosophie occupe, au sein de l’Université de Louvain, une situation particulière ; il a une structure spéciale tranchant sur celle des Facultés traditionnelles et des Ecoles qui se sont développées autour d’elles ; son programme d’études a une physionomie caractéristique. Tout cela est le résultat d’une évolution historique qui a traversé des phases diverses, dont quelques-unes furent assez mouvementées. Autant dire que la situation présente ne se peut comprendre qu’à la lumière du passé. Aussi bien, depuis longtemps, l’on réclame une histoire de l’Institut. Le centenaire de la naissance du cardinal Mercier fournit l’occasion de répondre à ce désir.

Dans les pages qui suivent, nous nous bornons à raconter les origines de l’Institut et l’activité de Mgr Mercier jusqu’à son départ de Louvain. Nous espérons pouvoir publier bientôt une histoire complète, qui retracera les diverses étapes qu’a traversées l’Institut depuis sa fondation jusqu’à nos jours.

§ 1. Le « Cours de haute philosophie de saint Thomas »

Au dix-huitième siècle, la philosophie scolastique était tombée dans un état de décadence extrême. Sauf en Espagne et dans l’un ou l’autre endroit d’Italie, elle se trouvait évincée, partout ailleurs, par les courants philosophiques modernes. Cependant, dès le début du siècle suivant, se dessina un mouvement de retour vers l’ancienne tradition. Il réussit à s’étendre progressivement et à s’affirmer.

Ce mouvement naquit au Séminaire de Plaisance, en Italie, grâce à l’action du chanoine Vincenze Buzzetti (1777-1824). Au cours

Institut de recherche sur le Maghreb contemporain

1Il y a un peu plus de trente ans que Mohammed Arkoun attirait l’attention sur « l’humanisme » d’Abû Hayyân al-Tawhîdî. L’étude qu’il consacrait à cette question et qu’il intitulait « L’humanisme arabe au ive/xe siècle d’après le Kitâb al-Hawâmil wa-Shawâmil » opposait, à la faveur de l’examen de cet ouvrage à la composition duquel al-Tawhîdî et Miskawayh conspirèrent, l’humanisme « indigné » du premier à celui « serein » du second, les questions inquiètes d’Abû Hayyân aux réponses apaisées, rassurantes, de Miskawayh ; elle citait (M. Arkoun, 1973, 112) cette formule glanée dans les Hawâmil : inna l-insân ‘ashkala ‘alayhi l-insân, pour l’homme, l’homme est une question hérissée de difficultés.

1 En réponse à l’insistance de von Grunebaum sur « antihumanisme de base » de la culture musulmane, (…) 2Par « humanisme » j’entends moins l’expression philosophique, traditionnelle, d’une paisible confiance en la raison humaine que, au contraire, la conscience vive, endolorie, de sa finitude, c’est-à-dire et tout à la fois, de la nécessaire vanité et du caractère inévitable, obligatoire, de sa mise en œuvre. Que la raison soit à même de se proposer pour objet la souveraineté divine, les modes de son efficience – causalité ? émanation ? création ex nihilo ? providence ? révélation ? – mais aussi la connaissance du Bien, de la félicité suprême, la détermination des voies spéculatives, morales, politiques qui conduisent à l’obtenir, que la raison, en somme, universelle, ait vocation à tout connaître, ou reconnaître au moins, est une conviction partagée par tous les falâsifa. Pour eux, elle est au demeurant un don de Dieu ; en diminuer le mérite, en limiter l’application tiendrait d’une sournoise impiété . Or ce n’est pas tant de cet humanisme -là que témoigne l’entreprise d’al-Tawhîdî – si elle en témoigne, si elle le met, plus exactement, à l’épreuve de la dispute dialectique, elle n’en a assurément pas le monopole – que d’une attitude beaucoup plus anachronique où l’inquiétude l’emporte sur la confiance, l’angoisse sur la sérénité. C’est de ce vacillement intellectuel que je voudrais parler, évoquant, pour mieux le faire voir, quelques textes instructifs. Pour le décrire, Mohammed Arkoun se souvenait de Miguel de Unamuno :

Le mu‘tazilisme comme peut-être le mysticisme, semblent avoir apporté à Tawhîdî non pas tant une profession de foi, mais avant tout une méthode et un cadre adéquats à l’expression d’un sentiment tragique de la vie. Le raisonnement, conduit sans frein jusqu’à un certain niveau, fait déboucher la conscience sur l’absurde, c’est-à-dire le sentiment d’une rupture fracassante et irréparable entre la raison et la réalité, la science et le mystère (M. Arkoun, 1973, 93).

3J’essaierai, dans une première partie de ce propos, de prendre la mesure de cette rupture, de relever quelle direction elle imprime aux entreprises scripturaires d’Abû Hayyân, d’indiquer comment, en particulier, elle conduit à redéfinir son autorité, c’est-à-dire ce qui le rend auteur, et à donner à la philosophie des objets nouveaux. Un rappel de quelques points empruntés à la 17e Nuit du Kitâb al-Imtâ’ wa-l-mu’ânasa illustrera, en deuxième partie, un exercice décalé de la philosophie, très individuel et toujours en rupture avec l’école.

4Abû Hayyân n’est pas mu‘tazilite, zindîq, mystique ou faylasûf. Il n’est jamais simplement tel ou tel. Il n’épouse pas une doctrine – pas même, j’en dirai quelques mots, la philosophie néoplatonicienne d’Abû Sulaymân – non, il explore les idées, les évoque, les mentionne et paraît jouer avec elles. Puis il s’en détourne pour en appeler d’autres, encore, contraires à celles-ci, toujours attachées à l’identité de ceux qui les adoptèrent, mais que l’écrivain lui-même ne s’approprie pas tout à fait, ou qu’il ne s’approprie que sur un mode fugitif… Cette convention de l’adab de ne jamais omettre d’inscrire le propos évoqué sous une autorité nommée, dûment reconnue, Abû Hayyân en tire parti pour ne s’incliner, lui, devant aucune autorité ! Obéissant à tous, pour pasticher Rousseau, il n’obéit à personne ! Le prologue du traité des Entretiens est éclairant :

Je n’ai pas oublié, écrit-il là, avec quel empressement il me revient de combler tes vœux et comme je me dois d’obéir à tes ordres quand tu m’enjoins de coucher sur le papier les choses de la philosophie que je t’ai rapportées, dont je t’ai informé et dont, excitant ton envie de les acquérir, j’ai suscité le désir chez toi, avec quel empressement il me revient de les combler quand tu m’enjoins, de nouveau, d’ajouter à celles-ci d’autres choses qui vont avec elles, s’y assortissent, affermissent leur sol, indiquent comme leur nature est excellente et comme leur place est élégante. Ces choses je les tiens, les unes et les autres, des maîtres vénérables de ce temps que nous partageons, de cette époque où il m’est donné de vivre (Al-Muqâbasât, 54).

5C’est moins la philosophie elle-même, en tant que telle, une doctrine, une méthode, une vaste construction spéculative qui restituerait son sens à chacun des êtres du monde et à la vérité de laquelle il donnerait son assentiment, qui intéresse Abû Hayyân, que les « choses » de la philosophie et d’autres qui leur sont semblables… des idées, en somme, libres, mobiles, toujours « élégantes », qui peuvent bien être justes, mais qui ne seront retenues que parce qu’elles furent professées par d’autres, des maîtres vénérables. Des fragments, des « miettes »… Ces « riens philosophiques », pour évoquer Soeren Kierkegaard, je ne les mentionne, répète-t-il, que parce que je les ai entendus, tout récemment, dans la bouche de ceux que j’ai rencontrés. Ils vous intéressent ? Adoptez-les ! Ils vous déplaisent ? Rejetez-les… Vous les comprenez mal ? Qu’à cela ne tienne ! Moi non plus d’ailleurs je ne les comprends pas très bien, alors parlons d’autre chose !

6Deux raisons pourraient expliquer cette apparente légèreté. La première ? Dans l’encombrement des tutelles évoquées, citées, c’est l’universel détachement, la liberté, l’obstiné refus de professer une doctrine, de s’incliner devant une autorité, la frivolité promue tout à la fois en une grave morale et en un talent littéraire qu’Abû Hayyân préserve. Ces autorités concurrentes sont si nombreuses qu’elles « s’entr ’empêchent ». On peut toujours leur échapper. Son allégeance à Abû Sulaymân lui-même n’est jamais servile, vassale. La seconde ? Si Abû Hayyân ne livre de la philosophie que des fragments, ce n’est pas qu’il soit impuissant à en restituer l’ordre souverain, à maîtriser l’enchaînement rigoureux des parties, c’est tout simplement parce que, pour lui, cet ordre est illusoire, la philosophie ne se tient pas dans de vastes synthèses, mais dans la rencontre fugace entre un mot scintillant et une idée profonde, excitante, dans la magie d’expressions heureuses qui viennent épouser les contours d’idées avenantes, célébrer leur saveur dans de sensuelles métaphores, en recueillir la complexité dans des paradoxes étourdissants, et le divertir de la mélancolie qui l’assaille. Sa philosophie s’énonce et se dérobe, presque insaisissable elle fait corps avec le mot, l’image qui la révèle, elle garde la fragilité des motifs de son expression : des rencontres souvent fortuites, des entretiens dont il ne fut que le témoin et qu’il rapporte. Ces « riens philosophiques », aucun réseau d’arguments imparables ne peut les mettre en ordre, ils s’accumulent, c’est tout, ils s’ajoutent, se juxtaposent sans jamais que la vérité de l’un n’engage celle de l’autre, sans qu’une forme rigide ne transporte de l’une à l’autre la justesse des idées au long des chaînes déductives… Tawhîdî écrit dans l’ordre de l’accumulation, celle des images, celle des mots, celle des pages, celle des comparaisons, des intuitions, celle des Nuits et des Entretiens. Il noircit du papier – il est « copiste » – mais d’une scintillante noirceur.

7Entre l’exposé d’un florilège d’aphorismes philosophiques recueillis de la bouche d’Abû al-Hasan Muhammad b. Yûsuf al-’Âmirî et une liste de cent dix-neuf définitions des concepts techniques de la philosophie comme jetées ensemble dans un grand désordre – les mêmes termes (al-sidq, al-yaqîn, alma’rifa) reçoivent plusieurs définitions différentes – Abû Hayyân intercale quelques commentaires sur la disposition des Muqâbasât :

De nombreuses divisions de la philosophie et beaucoup de propos variés auront été évoqués dans l’entretien qui précède. Je n’ai fait que les rapporter après les avoir recueillis de la bouche des maîtres vénérables, même si j’ai prodigué quelque effort pour les purifier, révéler leur part de vérité, ajoutant ici peu de choses sans lesquelles ils n’eussent pas été justes, en retranchant ailleurs quelques autres sans importance. Prends, s’il te plaît, ce qui te convient et laisse-moi ce qui te sera inutile (Muqâbasât, 282).

8L’ironie de la remarque vient de l’écart entre ce ton de modestie, d’indifférence et la gravité de l’entreprise. Le ton ? Les questions, les répliques, les interventions de tel ou tel étaient quelquefois répétitives, elles s’enlisaient d’autres fois ou tournaient court, aussi bien ai-je pris le parti d’ajouter ici, de retrancher là ; l’aspect quelquefois inchoatif, informe d’autres fois, de ces échanges, les allusions parfois obscures, les échecs successifs de tel ou tel dans la recherche d’une expression juste, les chicanes, les pesanteurs d’une inutile dialectique (ibid., 58) eussent lassé le lecteur. Ne me tiens pas rigueur des quelques modifications auxquelles je crus nécessaire de procéder pour ton plaisir et ton édification… La gravité ? Si moi, Abû Hayyân, je n’avais pas ardemment œuvré à exprimer ces idées, à choisir les mots exacts qui leur conviennent et à les consigner par écrit, qu’en resterait-il ? Entre ces idées comme elles furent exprimées d’abord, comme je les entendis, et ces mêmes idées telles que je te les soumets, couchées sur le papier, l’écart peut bien paraître infime, puisque je n’ai ajouté que peu de choses (il en allait de ma fidélité, d’ailleurs), pourtant c’est à ce supplément, au choix pour les exposer de l’expression la meilleure, qu’elles doivent d’être devenues vraies ! Entre le plagiat et la forgerie (A. Kilito, 1985), Abû Hayyân invente une stratégie discursive paradoxale qui fait de lui l’auteur subreptice d’un discours que personne n’a jamais tenu ; les raisons qui les distinguent du plagiat sont doubles et presque contradictoires : les propos, d’une part, ne sont pas colportés comme ils furent énoncés ; ils sont modifiés. Même si Abû Hayyân se les était appropriés, on ne l’accuserait pas d’usurper sans être injuste. Or non seulement il ne s’en empare pas, mais il les restitue explicitement à ceux qui se seront maladroitement essayés à les exposer avant que lui-même n’entreprenne de leur donner un corps – faut-il dire un vêtement ? – de mots et d’images. En somme ce sont eux, leurs premiers auteurs, qui, pour un peu, passeraient pour des « plagiaires »… Abû Hayyân ne forge pas non plus puisque ces premiers auteurs ne feront aucune difficulté à se reconnaître les pères « véritables » des propos qu’il rapporte. Mais ils se trompent puisque, ayant simplement échoué à les rendre vrais, justes, à les fixer par l’écriture, leur paternité est présomptive ! Car, enfin, quel est le véritable auteur d’une idée, celui qui l’énonce sans parvenir à la rendre claire, vraie, ou celui qui écrit, rédige l’expression qui la promeut à la durée pérenne et à la « justesse » ? Demandez-le aux critiques qui eux, reconnaîtront bien certainement vers qui ils doivent diriger leurs coups :

Si quelqu’un vient me menacer de sa lame, me montrer les dents, de ma justesse faire une faute et de ma faute un opprobre, je supporterai, j’endurerai patiemment, j’ignorerai et je pardonnerai. Comme, en tout cela, je n’ai fait que rapporter les propos des grands noms de l’époque, des maîtres de notre temps, je sacrifie mon honneur au leur, je les protège en me désignant aux coups, je mets ma langue et ma plume, ma poésie et ma prose, au service de leur défense. […] Quant à moi et dans ces propos, je ne rivaliserai avec personne aussi longtemps qu’il n’aura pas, de sa plume, rédigé dix feuilles d’un texte sans défaut, exempt de toute imperfection. Or cela pourrait demander du temps au premier venu et tout un chacun n’en est certes pas capable (ibid., 283).

2 Akhlaq al-wazîrayn, édition de b. Tâwît Al-Tanjî, 1992, 133. 9Abû Hayyân protège ses maîtres en les cachant. Faut-il qu’ils lui demeurent éperdument reconnaissants puisqu’il accepte de les faire oublier pour les mettre à l’abri, s’offrant, seul et désarmé, aux coups assassins de la critique ! Mais de quelle critique, d’ailleurs ? Celui qui parviendra à écrire dix pages sans faute lui vouera certainement bien trop d’admiration, à lui qui en a écrit des milliers, pour entreprendre de le critiquer ! Personne, il le sait bien, n’acceptera de relever le défi, de rivaliser avec lui dans le choix des mots. Là, il n’a pas son égal, et il le sait, il l’affirme. Les mots le hantent, l’habitent, l’habilitent – le trouvent « habile » – l’autorisent, le font « auteur ». La question l’obnubile. Il projette de consacrer une épître toute entière à « la parole sur la parole », al-kalâm ‘alâ l-kalâm (Muqâbasa n° 60, 197), ce sujet si difficile (Imtâ’, II, 131, 25e Nuit). Il y revient inlassablement, à propos de la balâgha (Muqâbasa, n° 88), à propos des mérites relatifs de la prose et de la poésie (Imtâ’, II, 130-147, 25e Nuit ; Muqâbasa n° 60), à propos du lafz et du ma’nâ (Muqâbasa n° 6), à propos de l’enflure littéraire de Sâhib b. ‘Abbâd . La correction de la langue est, de tous les aspects de la culture, celui qui importe le plus :

Ibn Da’b a dit : « Ibn Mûsâ m’a dit : “Nous étions réunis chez ‘Abd al-Malik b. Marwân. Quel est, demanda-t-il, de tous les aspects de la culture, celui qui, pour tous les hommes, l’emporte ? Nous nous mîmes à discourir abondamment sur chacun d’entre eux”. ‘Abd al-Malik dit : “Les gens n’ont pas de besoin plus pressant que de rectifier, de redresser cette langue grâce à laquelle ils échangent des propos, se consacrent à la claire exposition, se font mutuellement présents de maximes de sagesse, extraient de leur cachette les points obscurs de la science, réunissent ceux qui sont épars”. C’est la parole qui départage les adversaires, sa lumière dissipe l’obscurité des erreurs. Les hommes n’en ont pas moins besoin que de se nourrir ! » (Imtâ’, II, 144, 25e Nuit).

3 Ibid., mais cela fait tout de même un peu plus de deux moitiés ! 10La philosophie d’Abû Hayyân, sa morale, sa métaphysique, prennent forme dans une interrogation anxieuse sur « la parole la meilleure » (khayr al-kalâm, ahsan al-kalâm). Elle distingue le meilleur des hommes et le meilleur des biens. Zuhayr a dit : « La langue fait la moitié de l’homme brave ; le cœur fait l’autre moitié. Ne reste après eux que la forme du sang et de la chair ». Si la langue est l’accomplissement de l’homme – le reste, courage mis à part, n’est que chair et sang – il faut bien que le meilleur langage soit le meilleur de l’humain. On comprend mieux la pertinence de cette expression par laquelle Yâqût qualifie Abû Hayyân, au commencement de la longue notice qu’il lui consacre dans son Mu’jam al-udabâ’ : il est, nous dit-il, le littérateur des philosophes et le philosophe des littérateurs : adîb al-falâsifa et faylasûf al-udabâ’ (Mu’jam, éd. citée, 5). Il ne faut pas comprendre, platement, qu’Abû Hayyân est un philosophe qui écrit bien et un écrivain qui réfléchit avec profondeur, que ses qualités de penseur et de littérateur lui permettent de marier heureusement la vaste réflexion et l’expression brillante… non, les surnoms signifient cela, certes, mais ils signifient bien plus encore, et d’abord qu’Abû Hayyan puise dans l’écriture de la philosophie une philosophie de l’écriture, que choisissant les mots qui ensemencent la philosophie des autres, il fait de l’écriture l’objet de sa propre philosophie. Le sang, la chair et le langage se composent, se nouent, s’embrassent pour faire un homme ? Il faut donner à l’expression une saveur charnelle, une carnation qui parle d’amour, de goût et d’œillades :

Le discours le meilleur […] est celui que l’intellect soutient par la vérité, que l’expression assiste par la finesse, qui est aisé à écouter, qui trouve son chemin jusqu’à l’âme, qui rafraîchit le cœur. Quand il paraît il n’est pas voilé, quand il est énoncé il n’est pas oublié, quand il est disert il ne fatigue pas et quand il est bref il n’est pas chétif. Comme les yeux, il décoche des œillades et fait des agaceries comme la bien-aimée, il procure du plaisir comme un chant suave, se soumet avec docilité, il trouble comme l’aimé, cajole comme une jeune femme, il a le grave maintien d’un maître vénérable, l’agrément du bien-être, il est doux comme l’averse, il enivre comme le vin, pénètre comme le zéphyr, goutte comme la pluie, il a les effluves du parfum, il est droit comme une ligne, il est fondu comme un lingot de bon aloi, te comble tout à la fois par sa justesse, sa beauté et son accomplissement ! (Akhlâq al-wazîrayn, éd. citée, 135-136).

11La sensualité de ces comparaisons en cascade, la passion d’enfermer entre les pages d’un livre un monde d’ombres, de caresses, de senteurs, vivifie la littérature. Pour l’imâm al-bulaghâ’ – autre surnom que lui donne Yâqût – l’accomplissement littéraire induit le désordre des sens dans l’érotique des mots. L’hédonisme sémantique échappe aux simples distinctions : ce ne sont plus des pronoms, des hémistiches, des mètres, des métaphores et des métonymies, des oxymorons ou des synecdoques qui font un livre, une épître, mais de fines chevilles, des membres délicats, des cheveux soyeux, des promesses murmurées et des bouches sensuelles. Prose ou poésie, qu’importe ? Ces partages ne sont d’aucun secours dans l’inscription de la beauté. Elle est comme un oiseau. Elle est farouche. Elle se dérobera au chasseur qui entreprendra, pour la capturer, de jeter sur elle un lourd filet de rhétorique, elle s’enfuira, rasant le sol, dès qu’elle entendra le vacarme de ses préparatifs, mais elle se laissera capturer par l’oiseleur venu sans bruit, tout doucement :

En somme, la plus belle parole (ahsan al-kalâm) est celle dont l’expression est fine et la signification subtile, dont l’éclat est étincelant, dont la forme se tient entre une poésie qui ressemble à de la prose et une prose qui ressemble à de la poésie. Ce qui est vu, il lui fait désirer d’être entendu et son but répugne à être fixé. Celui qui veut l’atteindre le manque, il s’envole et, quand il s’envole, il rase le sol en planant. Je veux dire qu’il s’éloigne vivement de celui qui cherche à le frapper mais qu’il s’approche de celui qui le prend avec subtilité (Imtâ’, II, 145).

12Le meilleur des discours n’est ni poétique, ni prosaïque, ni long, ni court, ni frivole, ni sévère, il est tout cela à la fois. Les mots qui le décrivent – al kalâm ‘alâ l-kalâm – se trouvent plus souvent dans les traités d’ornithologie que dans les volumes de l’Organon. Un texte respire, il palpite, il désire, il s’envole, il plane, il vit… :

S’il n’y avait pas dans la prose une ombre de poésie, elle ne serait pas trouvée douce, légère, belle, agréable. De même, s’il n’y avait pas dans la poésie une ombre de prose, ses formes ne se distingueraient pas clairement et, des sources où elle puise son inspiration, ne coulerait pas une eau si fraîche (Muqâbasa n° 60, 197).

13L’animation, l’animalité de l’écriture la rend sauvage, aussi. Elle échappe à son maître pour s’en aller vivre d’elle-même, à l’écart de lui. Elle pousse quelquefois l’indocilité jusqu’à s’enfuir pour survivre dans la compagnie de ceux que lui-même aura détesté, des lecteurs qu’il aura récusés. C’est pour les punir, pour prévenir plutôt une pareille infidélité qu’Abû Hayyân décida de brûler les livres qu’il avait écrits. Il faut réfléchir à ce geste, peser exactement ce qu’il veut dire. Frankenstein effaré de voir sa créature lui échapper ? Le cadi Abû Sahl ‘Alî b. Muhammad ayant appris que l’écrivain-philosophe – il n’était pas loin, alors, de 90 ans – avait procédé à la destruction de ses propres écrits, lui envoya une lettre de remontrances. Personne ne connaît le contenu de cette lettre. Que pouvait-il dire à Abû Hayyân pour lui faire reproche de son acte ? On peut supposer que le juge sévère lui tint à peu près ce langage : l’œuvre sortie de tes mains ne t’appartient plus, pas plus que ne t’appartient la vie que tu as reçue. L’auteur devient vis-à-vis de son propre livre un lecteur comme les autres, ni plus ni moins. Imagine-t-on que tout un chacun puisse détruire les livres qui lui déplaisent ? C’est une insigne présomption que de brûler des livres, les siens comme ceux des autres, de s’en remettre tout au moins à son jugement personnel pour décider lesquels doivent être brûlés, lavés, déchiquetés. Le fait d’en être l’auteur n’en rend pas l’incendie moins criminel. Dieu distingue les bons des méchants. Si la rédaction de ces livres fut une bonne action, si leur contenu est édifiant, il est criminel d’en retirer le profit à leurs lecteurs, et si ces livres sont impies, leur auteur croit-il que, puisqu’il les aura brûlés, Dieu les ignorera le jour du jugement, qu’ils lui auront échappé, qu’il ne les aura pas lus et ne saura les porter au compte de leur auteur repentant ?

4 Je donne en annexe une traduction de ce texte étonnant. 14La réponse d’Abû Hayyân est d’une ironie consommée. Il commence par donner doctement au cadi une leçon de lecture coranique :

5 Coran, XXVIII, 88, « La narration », traduction J. Berque.

Coran, XXVIII, 88, « La narration », traduction J. Berque. 6 Coran, LL, 27, « Le tout miséricorde », traduction J. Berque. N’as-tu donc pas lu la parole du Tout-Puissant : « Toute chose s’abolit à l’exception de Sa face […] » ; et celle-ci : « Seule perdure la face de ton seigneur… » , t’aura-t-elle échappée ? Ignores-tu – est-ce possible ? – qu’il n’est rien, ici-bas, qui demeure, que toute chose, aussi précieuse soit-elle, aussi riche qu’en soit la matière, vacille aussi longtemps qu’entre leurs mains la tournent et la retournent les matins et les soirs, aussi longtemps qu’elle est livrée aux incertitudes du temps, aux hasards des jours qui se succèdent ? (Yâqût, Mu’jam al-udabâ’, éd. citée, 16-26).

15L’argument est étrange puisqu’il paraît justifier pieusement la destruction universelle : pourquoi, en effet, s’arrêter à ses propres livres dans cette dévastation ? Pourquoi ne pas brûler les livres des autres, aussi, et les auteurs avec ? Le second argument n’est pas moins étrange : … d’ailleurs, demande Abû Hayyân, as-tu oublié que d’autres sages vertueux qui n’étaient pas moins savants que toi, ni ne craignaient Dieu moins que toi, se résolurent au même geste ? Ils jetèrent leurs livres au feu, les précipitèrent dans la mer ou au fond de grottes dont ils murèrent l’entrée, ou encore déchiquetèrent des milliers de pages pour en éparpiller les fragments à tous les vents. Les quelques mots qu’ils proférèrent pour expliquer leur misobiblie (je forge le mot pour l’occasion), sont empreints d’une instructive piété : leurs livres leur furent des guides dans la recherche du bien suprême. Ne se sépare-t-on pas du guide, quand le but est atteint ? Il n’aura certainement pas échappé à Abû Hayyân que l’argument est aussi captieux, aussi pervers que le précédent. Pourquoi, à ce compte-là, – Horresco referens ! – ne pas brûler d’abord le meilleur des guides, le meilleur des livres ? Et puis, justement à supposer que les livres dussent être brûlés quand ils ont atteint leur but, que la ménagère dût enfourner ensemble et le gâteau et le livre de recettes, Abû Hayyân (qu’un paradoxe de plus n’effraie pas) écrit justement que ses livres à lui n’auront pas atteint leur but, lequel était mondain, aussi (et même surtout mondain, puisque, écrit-il, il suffit de peu de livres – un seul fait l’affaire – pour se préparer comme il faut à la vie dernière) et que c’est bien la raison pour laquelle il les brûle. Il se venge sur eux, en somme :

Ces livres-là, je veux dire mes écrits, contiennent les parties secrètes et celles publiques des sciences. Quant aux premières, je ne rencontrai personne que son penchant portât à trouver belles leur vérité cachée et quant aux secondes, personne ne vint à moi qui désirât les acquérir (ibid., 18).

16L’auteur décline sur tous les registres d’un style étincelant sa solitude, son esseulement, sa déception, sa déréliction, sa vieillesse, son angoisse et sa peur de mourir au milieu de l’universel délaissement. Anéantir, s’anéantir, non pas seulement accueillir la mort, qui vient, inéluctable, mais l’amplifier, lui tendre la main, lui prêter assistance, lui montrer ce qu’elle doit encore emporter, outre ce pauvre corps malade et impotent, pour achever son œuvre noire, pour effacer irrévocablement jusqu’aux moindres traces de cette existence douloureuse. Détruire, détruire seulement… telle est la seule raison « compréhensible » de sa pyromanie misobiblique. C’est affadir l’épisode que d’en faire un signe clinique de la personnalité tourmentée d’Abû Hayyân. L’autodafé est d’abord imposé par une métaphysique de la finitude. La raison est inutile. La science n’intéresse personne, pas même moi, d’ailleurs : collectionner les livres, accumuler de l’or, quelle différence au fond, demande Abû Hayyân ?

Celui qui amasse les livres est-il donc si différent de celui qui amasse l’or et l’argent ? Quelle différence entre celui qui les dévore avec appétit et celui qui se précipite sur l’or avec une insatiable avidité ? Entre celui qui s’éprend d’amour fou pour les livres et celui qui accumule les métaux précieux ? (ibid., 23).

17Notre pyromane est suicidaire et c’est lui-même qu’il incendie d’abord. La mort est là, toute proche :

Allons ! Bientôt, il faut partir et la halte est brève ! La couche est dure et douloureux le séjour. La route est périlleuse, partout l’aide manque, partout l’on peut se perdre ! Mais par Dieu, au milieu de tout cela se trouve un homme qui cherche (ibid., 23).

18Mais la mort ne suffira pas à tout dévaster. Il faut encore l’aider, finir les restes, curer. Dans toute la littérature philosophique, le sombre désespoir de ces lignes n’évoque rien tant que les premiers mots du Mythe de Sisyphe :

7 Voir Hawâmil, question n° 56 et M. Arkoun (1973, 115). Il n’y a qu’un problème philosophique vraiment sérieux, c’est le suicide. Juger que la vie vaut ou ne vaut pas la peine d’être vécue, c’est répondre à la question fondamentale de la philosophie (A. Camus, 1965).

19Il me semble qu’à cette question-là, tellement profonde, tellement radicale, tellement importante, l’épître répond et que la réponse qu’elle fait entendre n’est pas si éloignée de celle de Camus : « Il faut imaginer Sisyphe heureux (ibid., 166). » Elle n’est pas si désespérée qu’on pouvait le craindre, cette réponse, parce qu’une timide lumière vient de l’aspect très paradoxal de l’entreprise. Tawhîdî écrit une épître dans laquelle il s’explique auprès du juge sur les raisons impérieuses qui l’auront poussé à brûler ses livres. Mais si ces raisons sont à ce point bonnes, pourquoi, justement, écrit-il cette épître ? Pourquoi la lettre du cadi Abû Sahl ne le laisse-t-elle pas de marbre ? Pourquoi ne le trouve-t-elle pas enfin silencieux et déterminé à ne plus ajouter une page à ce qu’il ne fallait pas écrire, de toute façon, puisqu’il fallut le brûler ; pourquoi, cette épître, ne la brûle-t-il pas avant de l’envoyer ? L’épître annonce la fin de la littérature. Elle la revendique même… mais sur un ton ironique, sur un ton d’un accomplissement littéraire extrême et qui dément son propos, qui proteste que la littérature se continue, qu’elle survit à toutes les tentatives de la supprimer sombrement. Abû Hayyân rédige un éloge littéraire de la fin de la littérature, une démonstration de sa pérennité par sa reviviscence, par sa résurrection ; paradoxalement, de l’épître du cadi, qui, elle, prônait pourtant la pérennité de la littérature, rien n’est resté. Al-Tawhîdî ne baisse pas les bras ; il ne s’en remet pas aux consolations de la religion, il n’évoque pas une autre vie, meilleure, non, et qui l’attendrait, il n’abdique pas l’intelligence, il ironise, il rédige une épître absurde.

20Le Kitâb al-Imtâ’ wa l-Mu’ânasa, ce traité luxuriant sur l’agrément du plaisir cultivé et la jubilation de se trouver en agréable compagnie, fait porter une partie de sa 17e Nuit (Imtâ’, II, 4-23) sur « le problème central qui a torturé toute la conscience médiévale » (M. Arkoun, 1973, 103), celui des relations entre la religion et la philosophie, entre la raison et la foi, entre la révélation et l’examen rationnel. Bien sûr, la conscience d’Abû Hayyân est tout naturellement torturée. Qui dira lequel, du problème ou de la conscience, lorsqu’il s’agit de lui, torture l’autre ? Mais si le mot d’« humanisme » a un sens, il faut, de toute évidence, qu’il accepte de s’engager dans les périlleux sentiers de cette question-là. La lecture de ce texte permet de montrer comment dans sa complication, dans ses ellipses, ses répétitions, sa dispersion, comment, dans son argumentation sinueuse, dans ses contradictions et la reconnaissance à demi-mot de l’embarras des différentes réponses recensées à cette difficile question, comment Abû Hayyân invente l’esthétique singulière d’une littérature réfléchie, tendue, inquiète, en rupture avec toutes les certitudes et propre à un humanisme très moderne. Elle permet de voir comment le recueil désordonné « des choses de la philosophie » collectées au petit bonheur des rencontres, ouvrent les yeux du lecteur sur des profondeurs que les doctrines scolaires, souvent, dédaignent.

8 Le même point est répété : 10 [l. 3-5], 17 [l. 16-17], 18 [ l. 8 et l. 19]. 21Le rappel en quelques mots des buts que poursuivraient les Ikhwân alsafâ’ – composer ensemble la philosophie grecque et la loi religieuse arabe pour atteindre l’ultime perfection et répandre cet enseignement (Imtâ’, II, 5) – fournit à Abû Hayyân l’occasion de procéder à deux exposés successifs des opinions d’Abû Sulaymân sur la raison et la révélation. Pourquoi deux exposés justement ? Abû Sulaymân change-t-il d’avis ou son disciple aura-til échoué, une première fois, à rendre, de ses jugements, la complexité, la subtilité ? Il faut comparer l’un et l’autre de ces exposés. Sur un point, Abû Sulaymân ne varie pas. Le prophète est au-dessus du philosophe, la révélation vient de Dieu. Elle s’impose, c’est tout. Il reste à tout un chacun à s’y soumettre docilement, en silence, à s’abstenir de poser à son sujet des questions de raison :

Il y a, dans la loi révélée, des choses qui sont rebelles à l’examen, qui se dérobent à l’investigation. Il faut se soumettre à celui qui appelle à les croire, qui dirige verselles l’attention. À leur sujet, « pourquoi ? », « comment ? », « mais tout de même ? » se dissipent à tous les vents ; « toutefois si… », ou « si seulement… » sont abolis. De telles choses sont comme interdites, les discussions à leurs sujets sont proscrites et en douter égare. S’en remettre à elles avec tranquillité, voilà qui est salutaire (Imtâ’, II, 6-7).

9 C’est, au témoignage Ibn Khaldûn (éd. citée, 1978, vol. III, 1044-1045), ce que le calife Omar aur (…)

C’est, au témoignage Ibn Khaldûn (éd. citée, 1978, vol. III, 1044-1045), ce que le calife Omar aur (…) 10 Comparer avec la 8e Nuit : Sîrâfî qualifie Aristote d’« un homme parmi les Grecs », Imtâ’, I, 113 (…) 22Bon, certes, mais supposons que nous ayons rendu à Dieu ce qui lui appartient, que nous ayons accompli tous nos devoirs religieux et nous soyons inclinés devant le prophète et la loi révélée, supposons que nous ayons soigneusement tenu les questions de raison à l’écart de ses commandements fermes et divins… Et après ? Que faut-il faire ensuite : prier ? se retirer au fond d’une grotte ou sur une île déserte ? étudier ? brûler ses propres livres et ceux des autres ? attendre benoîtement que la mort vienne ? La raison ne juge pas la révélation ? Soit, mais la révélation, elle, que dit-elle de la raison ? En parle-t-elle, seulement ? C’est sur ce dernier point que les deux exposés diffèrent clairement. Abû Sulayman est d’abord catégorique : il n’y a rien dans la révélation au sujet du fond de commerce des philosophes ; elle le dédaigne, l’ignore : rien sur l’astronomie, rien sur la physique, rien sur la géométrie, rien sur cette logique qu’un Grec – un Grec ! – a formulée et dont il croit que tout un chacun, ouvrant la bouche, aurait besoin… (Imtâ’, II, 6-7). Le silence de Dieu est assourdissant : s’il avait accordé quelque importance à tout cela, pourquoi ne l’aurait-il pas révélé ? Pourquoi n’a-t-il pas fait descendre du ciel l’Organon, ou l’Almageste ? « Si l’on pouvait, demande Abû Sulaymân, se contenter de la raison, à quoi servirait la révélation ? » (Imtâ’, II, 10 [l. 6]). Entendez : il va de soi que l’on peut se contenter de la révélation – pourquoi, en effet, le Tout-Puissant ne nous aurait-il gratifié que d’un demi-viatique ? Donc, à quoi sert la raison ? Il faut qu’elle soit vide, inutile ! Tout est mis au service de ce glissement, de cette insinuation, de ce passage suggéré, insidieux, extorqué, entre la reconnaissance de l’incomplétude de la raison et son accusation de nullité. La raison est inachevée, donc elle ne sert à rien ! Abû Sulaymân fait flèche de tout bois et les sophismes ne l’effraient pas : si un homme pouvait s’en remettre à sa raison, il faudrait aussi qu’il fabrique ses chaussures, qu’il fasse pousser son blé et construise sa maison de ses propres mains :

11 Abû Hayyân mentionne plus loin qu’Alexandre s’est bien passé de la révélation. Si un homme seul pouvait s’en remettre à sa raison pour ce qui concerne sa religion et sa vie ici-bas, il faudrait aussi qu’il puisse s’en remettre à ses seules forces pour toutes les choses de la vie, qu’il se suffise à lui-même au point de s’acquitter de tous les arts pratiques, d’acquérir toutes les connaissances, qu’il n’ait jamais besoin de l’un de ses congénères, voilà vraiment une supposition bien vile et tout à fait incongrue (Imtâ’, II, 10 [1. 12-15]).

23Comme pour confirmer cette rude disqualification, Abû Sulaymân s’en va proférer contre toute vraisemblance, l’étrangeté suivante :

Mais voici qui va t’éclairer, et même t’illuminer : notre communauté a divergé au sujet de ses opinions, de ses écoles de droit, des sectes, des groupes se sont constitués, ainsi des murjites, des mu‘tazila, des chiites, des sunnites et des kharidjites. Aucune de ces communautés n’a cherché secours auprès des philosophes ! Aucune ne leur a jamais demandé de témoigner en faveur de ses propres thèses, aucune n’a appliqué les méthodes des philosophes, aucune n’a trouvé chez eux ce qu’elle n’aurait pas trouvé dans son livre révélé et dans les récits sur la vie de son prophète (Imtâ’, II, 9 [1. 11-15]).

12 Yâqût, éd. citée, 5 : kâna mutafannin fî jamî’ al-‘ulûm min […] al-kalâm ‘alâ ra’y al-mu‘tazila. 24Faut-il aussi oublier que les mu‘tazila – auxquels, nous dit Yâqût par ailleurs , Abû Hayyân appartenait – ne sont pas précisément connus pour leur dédain des arguments philosophiques ?

25Intrigué par la vivacité de l’opposition, le vizir demande si les Frères Purs ont eu vent de cette très vive hostilité d’Abû Sulaymân à leur endroit et du caractère dévastateur de ses critiques. Al-Tawhîdî répond habilement par le récit d’une dispute qui eut lieu au marché des copistes, à laquelle il assista – mais on ne lui laissa qu’un strapontin – et au cours de laquelle al-Harîrî, disciple d’Ibn al-Tarrâra et chargé pour l’occasion de représenter Abû Sulaymân (lui-même, lépreux, demeurait confiné chez lui) réduisit à quia al-Maqdisî, l’un des Frères Purs :

Il demeurait stupéfait par ce qu’il avait entendu, écrit Abû Hayyân, la colère, l’impuissance, l’engourdissement avait balayé son aplomb (Imtâ’, II, 16 [1. 16]).

26Ce qu’il lui dit, après l’avoir ainsi tétanisé de dépit, résume la première des positions d’Abû Sulaymân :

La philosophie et la loi révélée n’appartiennent pas au même genre ; la loi révélée n’est pas l’une des disciplines de la philosophie. Entre les deux, on ne peut pas lancer des traits, on ne saurait passer de l’une à l’autre. Nous ne voyons, dans aucune religion, les hommes très pieux, qui se rendent semblables à Dieu – de Moïse à Mahomet, en passant par Jésus, Abraham, David, Salomon, Zacharie, Jean – affirmer que leurs lois révélées poussent à exercer la philosophie, ordonnent de la rechercher, de l’emprunter aux Grecs. Rien de cette affirmation ne leur a été attribué et personne ne leur a imputé pareil propos (Imtâ’, II, 17-18).

Distinction réelle entre la philosophie et la révélation, mais aussi, mais surtout, disqualification de la première. Elle en sort congédiée et honteuse. La philosophie, demandez-vous ? « … Une opinion, un jugement voué à disparaître » (Imtâ’, II, 9 [1. 19-20]).

27C’est l’étonnement du vizir qui justifie le second exposé, très différent du premier. Le ministre ne comprend pas comment ce disciple attentif d’Ibn ‘Adî peut ainsi s’acharner contre les philosophes :

13 Voir la 23eMuqâbasa, par exemple (éd. citée, 113) qui met, dans la bouche d’Abû Sulaymân ce vibran (…) Tout ce discours m’émerveille, dit-il, à l’exception toutefois des propos d’Abû Sulaymân et de ce qu’ils contiennent de mépris, de vivacité excessive, de colère, de tendance au fanatisme. Pourtant, cet homme est surnommé « le logicien », il fait partie des disciples du chrétien Yahyâ b. ‘Adî. Il commente sous sa direction les traités des Grecs et leurs commentaires très précis et très clairs (Imtâ’, II, 18 [1. 3-7]).

28Quelle mouche aura piqué un philosophe pour qu’il en vienne à professer des opinions si défavorables à la philosophie ?

29Impavide, Abû Hayyân reprend ses explications, mais celles qu’il donne, cette fois, sont bien différentes. Il construit une représentation très fragile des relations entre la piété et la sagesse, une représentation que l’incohérence menace, qu’elle assiège. Elle semble osciller entre la théorie dite de la « double vérité » que le Moyen Âge latin attribuera bien injustement à Averroès et dans les termes de laquelle deux jugements contraires, chacun dans son ordre (divin ou humain), peuvent bien être également vrais,… entre cette monstruosité logique et la différence à laquelle s’en remet al-Kindî entre une science humaine et une science divine : dans l’une et l’autre connaissances les contenus sont les mêmes et sont également vrais, toute la différence tient à leurs modalités d’acquisition : temps, fatigue, difficulté de la recherche ou soudaineté d’une illumination…

30Vraies, oui, vraies toutes les deux, cette fois-ci, vraie la religion et vraie la philosophie, vraie la révélation et vraie la raison ! Le ministre aura mal compris… Ce qu’affirme Abû Sulaymân, c’est ceci :

La philosophie est vraie, mais elle n’a rien à voir avec la loi révélée ; la loi révélée est vraie, mais elle n’a rien à voir avec la philosophie ; le prophète, le dépositaire de la loi révélée, est envoyé, quant à l’adepte de la philosophie, c’est à lui que leprophète est envoyé. À l’un est réservé la révélation, à l’autre l’examen rationnel. Le premier est immédiatement comblé, le second se donne de la peine ; celui-là dit : « Il m’est ordonné… », « Il m’est enseigné… », « Il m’est dit… » et « Rien de ce que je dis ne vient de moi » ; celui-ci dit : « Je pense que… », « J’ai attentivement examiné… », « J’ai trouvé bon que… » ; « Je désapprouve que… » ; celui-ci dit : « C’est à la lumière de la raison que je demande mon chemin » ; l’autre dit : « Je suis illuminé par la lumière du Créateur et j’avance sous son rayonnement… » ; celui-ci : « Dieu, qu’il soit glorifié, a dit… ; l’Ange a dit… », celui-là : « Platon a dit… ; Socrate a dit… ». De celui-ci, on entend : « Le sens littéral d’une révélation… », « l’interprétation autorisée… », « une tradition bien avérée… », « l’accord de la communauté… »… De celui-là : « la matière hylique », « la forme spécifique », « la nature », « les éléments derniers », « l’essentiel » et « l’accidentel », « l’existence », « l’inexistence » et autres choses semblables qui ne furent jamais entendues d’un musulman, d’un juif, d’un chrétien, d’un mazdéen, ou d’un manichéen (Imta’, II, 18 [17-18]).

14 Voir M. Arkoun, 1973, 107, 118-120. Mais je ne crois pas, pour ma part, que cette sollicitude, cet (…) 31Parole sur la parole, de nouveau. C’est toujours par les noms et les verbes que Abû Hayyân pénètre dans les questions compliquées . L’écart entre les deux ordres paraît par la désignation de leurs mots, par un inventaire des récurrences linguistiques, par l’attention prêtée aux formes actives ou passives des verbes, par un recensement des autorités et la mention de quelques noms propres. Cursif, lapidaire, incisif, le procédé montre plus clairement qu’un long raisonnement, l’extrême étrangeté l’un à l’autre de chacun des univers expressifs, l’abîme lexical qui les sépare. Mais ce n’est pas seulement les noms que les philosophes et les fuqahâ’ ne partagent pas : ils n’ont pas sous les yeux les mêmes objets. Des mots différents désignent des choses, des êtres différents : « Dieu ! », dit l’un « Platon ! », dit l’autre. Aucune synonymie – elle expliquerait que les mêmes réalités reçussent chez les uns et les autres des noms distincts – ne vient discipliner leur vocabulaire. Ils ne sont pas au même endroit, ne voient pas les mêmes choses et ne doivent pas se rencontrer. Ils ne peuvent s’opposer les uns aux autres puisqu’ils n’ont pas de frontière commune :

Celui qui veut s’adonner à la philosophie, il faut qu’il maintienne son étude à l’écart des questions religieuses et celui qui préfère la piété doit tenir tous ses soins à l’écart de la philosophie. On doit se vouer à l’une ou à l’autre, les tenir bien séparées, en deux lieux et en deux états différents (Imtâ’, II, 18-19).

32La pensée est frappée de forclusion religieuse. À cette condition elle est réhabilitée. Elle troque son engagement formel à se détourner de la religion contre la promesse d’un silence religieux sur ses propres objets (mais cette fois-ci le silence de la Loi équivaut à une licence d’exercer librement)… promesse aussitôt trahie d’ailleurs puisque Abû Sulaymân s’empresse de relever les exhortations coraniques à l’exercice de la philosophie (Imtâ’, II, 19-20) :

15 Citations successives du Coran XXIX, 43, II, 269 et LIX, 2. « N’a-t-Il pas dit : « Mais ceux qui sont pourvus de raison sont seuls à comprendre » […] N’a-t-Il pas dit : « Ceux qui sont doués d’intelligence sont les seuls à s’en souvenir », et aussi :» Tirez donc une leçon de cela, ô vous qui êtes doués d’intelligence ! ».

33La contradiction avec les premières thèses d’Abû Sulaymân saute aux yeux : on mettra en regard ces incitations explicites du législateur à s’adonner à la pensée philosophique (et dont Averroès se souviendra) avec le jugement catégorique d’al-Harîrî, qui parlait pourtant pour faire connaître aux Frères Purs les arguments d’Abû Sulaymân : aucun des législateurs religieux, disait-il, ne conviait à exercer la philosophie (Imtâ’, II, 17 [l. 18] – 18 [1. 1]) ! Le même Abû Sulaymân qui, à l’instant, martelait que le Législateur ne disait pas un mot des objets de la philosophie et que ce mutisme valait un anathème, prétend ensuite que si la Loi fait silence, c’est pour laisser parler le philosophe, il ajoute aussitôt qu’elle est plutôt bavarde et il indique du doigt les intelligibles que seule la révélation nous dévoile :

Nous devons à la loi révélée d’intelliger un grand nombre de choses à la faveur de l’éclatante lumière de la révélation, mais, de tout ou partie de ce que la révélation nous dispense, la philosophie ne nous dit rien (Imtâ’, II, 22 [1. 7-8]).

34Ce n’est pas seulement sa légitimité que la raison reçoit du Coran, mais son objet aussi, sa tâche : édifier une théologie naturelle, exalter la puissance de Dieu, « contempler Sa puissance déployée dans ce monde éblouissant d’une beauté qui subjugue la raison », étudier « les signes apparents de Sa puissance que Dieu a déposés dans cette sublime création, les marques de Sa sagesse qu’elle recèle, l’être de cette œuvre et son ordre merveilleux qui expriment Sa volonté, le parfait agencement de toutes ses parties qui témoigne de Sa science » (Imtâ’, II, 19 [1. 2-9]). D’anathématisée qu’elle était tout à l’heure, la philosophie sort de ce deuxième exposé légitimée et pourvue d’une mission. Mais elle ne doit ce bonheur qu’à une incertitude : le caractère théologique de sa réhabilitation, la tutelle religieuse qui s’exerce jusque dans la définition de ses objets sont également contraires à l’affirmation d’une distinction complète, réelle, entre les deux voies. Si le faqîh parvient à légitimer la philosophie, faut-il aussi que le philosophe réhabilite la piété aveugle ?

35Quant à la prééminence du prophète sur le philosophe, tant de fois réaffirmée, jamais démentie et répétée ici même, on peut se demander comment elle s’accommode de l’équivalence de la piété et de la philosophie :

Dans sa grande sollicitude pour ses créatures, le Tout-Puissant, leur a tracé deux voies, leur a montré deux signes, leur a aplani deux chemins qui leur rendent également possible de parvenir à le satisfaire, soit par les deux ensemble, soit par l’un ou l’autre (Imtâ’, II, 19 [1. 12-14]).

36Deux chemins ? Mais lequel choisir et pourquoi ? Un seul n’aurait-il pas suffi ? Que lui aurait-il manqué ? Ou l’un des deux conduit-il plus loin que l’autre ? Lequel ? Du reste, conduira-t-il « plus loin »… ou ailleurs, simplement ? Si ces deux voies ne parcourent pas les mêmes pays, si elles ne sont pas « au même endroit », pourquoi se rencontreraient-elles ? Qui dira en quel lieu ? Si, malgré tout, le but est bien le même – « satisfaire le Tout-Puissant » –, pourquoi faudrait-il s’y rendre par deux voies distinctes ? Pourquoi chacun d’entre nous devrait-il s’engager dans l’une et l’autre à la fois ? N’est-ce pas imprudent, à tout le moins ? C’est en tout cas, assurément « chose difficile » (Imtâ’, II, 19 [1. 10]) ! Ou encore la philosophie et la religion dispensent-elles l’une de l’autre ? Ou, de nouveau, ne faut-il pas demander « pourquoi ? », « comment ? » « Et si… ? » mais se taire, seulement, et – pourquoi pas ? – brûler ses livres, mais en silence cette fois ?

37Le vizir ne se pose pas tant de questions. Il est comblé au contraire. La solution d’Abû Sulaymân, lui, il la trouve « claire et précise » (Imtâ’, II, 22 [1. 10]) ! Pourtant Tawhîdî est beaucoup plus réservé :

Notre maître Abû Sulaymân, dis-je, est un homme d’une science étendue et d’une intelligence profonde. Aucune des choses spirituelles, des connaissances divines et des secrets de la transcendance ne lui est étrangère. Clairvoyant et solitaire, il est doué d’un tempérament équilibré, d’une vaste perspicacité, d’une belle éloquence. Il a choisi une voie exposée aux objections et les motifs ne manquent pas à ses adversaires de multiplier les embûches. Quelques-uns resteront réticents à la présentation que j’en ai donnée : il sépare la loi révélée de la philosophie puis appelle à les embrasser l’une et l’autre ; voilà qui confine à la contradiction (Imtâ’, II, 19 [1. 12-14]).

38La 17e Nuit du Traité du plaisir échangé et du ravissement d’être ensemble contient encore bien des « choses », des « choses de la philosophie », et tant d’autres « choses » encore qui leur ressemblent, qui leur sont assorties, de celles que je n’aurai pu évoquer dans le cadre de cet exposé, de celles aussi que je n’aurai pas su trouver entre les mille et un plis de son éloquence luxuriante, sinueuse, de celles, surtout, dont la compréhension doit être lente parce qu’elles sont difficiles à dire, impossibles à taire et périlleuses à penser. Le texte est, en apparence, d’un désordre confondant, mais bien plus probablement d’une complication formelle calculée. Des disputes dialectiques s’emboîtent les unes dans les autres, les thèses sont exposées ou seulement évoquées, réfutées ou délaissées. Platon, Alexandre, le Coran, le prophète de l’islam, les Grecs, les chiites, les Ismaéliens, les Mu‘tazila, les Zoroastriens, les chrétiens et les juifs, etc., font de fugitives apparitions entre les deux exposés successifs des opinions d’Abû Sulaymân qui soutiennent leurs différences comme de hauts piliers. Abû Sulaymân poursuit un dialogue tendu avec lui-même, ses thèses se répondent et s’éprouvent mutuellement ; chacune désigne les incohérences de l’autre, la force jusque dans ses retranchements à reconnaître ce qu’elle préférerait cacher, chacune révèle ses propres faiblesses, les raisons pour lesquelles aucune des réponses recensées n’apporte finalement la quiétude de l’âme. La nuit montre qu’un long chemin reste à parcourir pour penser la révélation, si elle est pensable.

39Quant à Abû Hayyân, sa position vis-à-vis des philosophies des uns et des autres répond très exactement à sa propre situation vis-à-vis des discours qu’il « rapporte » : il est partout et nulle part. Nulle part parce qu’il ne donne pas clairement sa propre opinion, nulle part parce qu’il adopte toujours une attitude décalée, un mode aporétique de l’exposition, une culture de la déception qui permet de tout énoncer sans jamais apporter de réponse ; partout parce que, sans lui, nous ne connaîtrions pas ainsi les opinions qu’il consigne, parce qu’elles n’auraient pas été exprimées avec tant d’élégance, évaluées, explicitées, rendues à leurs titulaires, mises à l’épreuve de leurs conséquences, préférées puis vite délaissées, partout parce qu’il égratigne Miskawayh et Ibn ‘Ubayd, partout parce qu’il publie haut et fort l’identité de « Frères Purs » tout en reconnaissant ingénument qu’ils préfèrent demeurer anonymes, partout parce que c’est lui qui porte à Abû Sulaymân quelques-unes de leurs épîtres, recueille son avis et le colporte, partout parce que c’est encore lui qui interpelle l’un des Frères purs, al-Maqdisî sur le marché des copistes, endure son silence méprisant mais surprend sa discussion avec al-Harîrî, parce que c’est lui, de nouveau qui en réponse à une nouvelle question du vizir, se souvient opportunément d’une autre discussion entre Abû Sulaymân et Abû l-‘Abbâs al-Bukhârî, et, lui, aussi, qui laisse planer un doute sur la cohérence de la doctrine de son maître, partout, parce que c’est lui finalement qui, l’écrivant comme personne, réinvente tout cela, lui donne une vie durable. Lassé, sans doute, égaré, plutôt, étourdi, sûrement, le ministre s’impatiente et l’interrompt alors qu’il se prépare à raconter une nouvelle querelle dialectique. Il lui enjoint de clore par « l’anecdote de la séparation » – fâ’idat al-wadâ’ (ce sera une maxime d’Ibn al-Muqaffa’). Cette place – une discrète ubiquité – qu’Abû Hayyân se choisit, se ménage, est l’ombre portée de la position qu’il adopte vis-à-vis des « choses de la philosophie ». Il ne souscrit à aucune doctrine, mais se tient quelque part, entre elles toutes, au foyer de leurs contradictions. Dans les plis de leur secrète fragilité, il continue de penser.

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